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16/07/2015

Les relations entre la Turquie et la République populaire d'Albanie

"L'Albanie établit des relations consulaires avec la Turquie", Le Monde, 3 décembre 1969 :

"Ankara (A.F.P.). - L'Albanie a inauguré lundi un consulat général à Istanbul. C'est la première fois que le gouvernement de Tirana établit des relations consulaires avec la Turquie, mais les autorités d'Ankara n'ont pas demandé à bénéficier d'une mesure de réciprocité. (...)

L'événement apporte en définitive à ces mêmes observateurs une preuve nouvelle de l'éclectisme de l'actuelle politique extérieure d'Ankara : membre fidèle de l'alliance atlantique, la Turquie n'en a pas moins invité un millier de techniciens soviétiques et autorise en outre les Mig livrés aux pays arabes à emprunter son espace aérien."

Thomas Schreiber, "Albanie : La diplomatie de Tirana se fait plus active", Le Monde, 14 septembre 1984 :

"Mais en attendant l'établissement probable de relations diplomatiques avec Bonn (déjà parmi les partenaires commerciaux importants de l'Albanie), ce sont la Turquie, la Grèce, l'Autriche, la Suisse et surtout l'Italie qui intéressent le régime de Tirana."

Jan Krauze, "L'Albanie ouvre son portillon pour M. Baylet", Le Monde, 10 septembre 1985 :

"Dans ce même discours, M. Alia reprenait les formules habituelles sur "l'encerclement impérialisto-révisionniste" de l'Albanie, rappelait qu'il était moins question que jamais de renouer de quelconques relations avec l'URSS ou les Etats-Unis, s'abstenait d'évoquer le cas de la Chine, mais mentionnait par contre les bons rapports entretenus avec les pays voisins, Grèce, Turquie, et aussi Italie, tandis que les "grands Serbes" (yougoslaves) étaient à nouveau accusés de "cracher leur fiel" contre l'histoire et la culture nationales des Albanais du Kosovo."

"La réunion des pays balkaniques à Belgrade : La prudente ouverture de l'Albanie", Le Monde, 25 février 1988 :

"La Bulgarie et l'Albanie viennent de rétablir complètement leurs relations diplomatiques. Mais c'est avec la Turquie et la Grèce (membres de l'OTAN) que, dernièrement, les progrès ont été les plus spectaculaires. La Turquie est le seul pays disposant de deux consulats albanais (Ankara et Istanbul). Les échanges de toute sorte, marqués par une série de conventions signées en 1986 et 1987, se sont multipliés et, bientôt, une liaison aérienne Tirana-Istanbul sera inaugurée."

Thomas Schreiber, "L'Albanie : peut-être du nouveau ?", Le Courrier des pays de l'Est, n° 346, janvier 1990 :

"Une chose est certaine : l'activité redoublée de la diplomatie albanaise. Rappelons qu'avant même la disparition d'Enver Hodja en avril 1985, se dessinait derrière les diatribes de la propagande de Tirana la "nouvelle ligne" de la politique extérieure : conflit (mais pas rupture) avec la Chine ; refus de tout contact officiel avec Moscou et Washington ; normalisation progressive des rapports avec les différents pays "révisionnistes" est-européens et surtout, ouverture prudente en direction des pays occidentaux, en commençant par la Grèce, la Turquie et l'Italie."

14/07/2015

L'URSS et le séparatisme kurde en Turquie

Semih Vaner, "La Turquie entre l'Occident-Patron et le « Grand Voisin du Nord »", in Zaki Laïdi (dir.), L'URSS vue du Tiers Monde, Paris, Karthala, 1984, p. 100 :

"La plupart des organisations kurdes se réclamant du marxisme comme Özgürlük yolu (« Le chemin de la liberté »), Roja Walat (« Le soleil du pays »), le DDKD (Association culturelle démocratique et révolutionnaire) et le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) toutes démantelées par la junte militaire à la fin de 1980, se diront résolument pro-soviétiques et chercheront, dans leur lutte, l'appui de Moscou qui observe pourtant une certaine prudence en n'encourageant pas le séparatisme. Deux autres organisations kurdes de gauche resteront extrêmement critiques envers l'URSS : Kawa, prochinois, mettra quasiment sur le même plan la lutte contre l'URSS et la lutte pour l'indépendance du Kurdistan tandis que Rizgari reprochera au PC soviétique de n'avoir jamais fait de déclaration sur le droit des Kurdes à disposer d'eux-mêmes."

Années 40-50 : le châtiment contre les dachnaks (fascistes-collaborationnistes arméniens) en URSS

Kliment Vorochilov, note au Praesidium du Comité Central du PCUS sur le nombre et les catégories de déplacés spéciaux en URSS (4 mars 1954), source : Nicolas Werth, "Les déportations des « populations suspectes » dans les espaces russes et soviétiques, 1914-1953", Communisme, n° 78-79, 2004, p. 45 :

"Conformément au décret du Praesidium du Soviet Suprême de l'URSS en date du 21 février 1948, ont été envoyés en déportation, à l'issue de leur peine de camp, les espions, les trotskystes, les mencheviks, les droitiers, les terroristes, les nationalistes et les autres criminels particulièrement dangereux. Cette catégorie représente, à ce jour, 52 468 individus.

On trouve également, dans les villages de peuplement, de nombreuses autres catégories de personnes déportées sur décision du gouvernement de l'URSS :

- ex-koulaks, déportés des régions de collectivisation totale en vertu du décret du Conseil des commissaires du peuple en date du 1er février 1931, et toujours en vie, soit à ce jour 24 686 individus.

- citoyens soviétiques d'origine polonaise, déportés des districts frontaliers des RSS de Biélorussie et d'Ukraine, conformément à la résolution du Conseil des commissaires du peuple en date du 28 avril 1936, soit à ce jour 36 045 individus.

- membres de l'OUN, déportés des régions occidentales de l'Ukraine conformément aux résolutions du Conseil des ministres du 10 septembre 1947 et 4 octobre 1948, soit à ce jour 175 063 individus.

- citoyens soviétiques, de nationalité étrangère ou sans nationalité définie, dachnaks et autres, déportés de Géorgie en vertu de la résolution du Comité d'Etat à la Défense du 31 juillet 1944 et des résolutions du Conseil des ministres du 29 mai 1949, 21 février 1950 et 29 novembre 1951, soit à ce jour 160 197 individus.

- « Vlassoviens », déportés pour une durée de six ans conformément à la résolution du Comité d'Etat à la Défense du 21 décembre 1945 et de la résolution du Conseil des ministres en date du 29 mars 1946, soit à ce jour 56 476 individus."

Staline et la question du Haut-Karabakh et du Nakhitchevan

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Richard G. Hovanissian, "L'intermède de l'indépendance nationale", Esprit, juin 1984, p. 107-108 :

"Les efforts du gouvernement de l'Arménie soviétique pour récupérer une partie des territoires perdus ne furent soutenus que par des notes diplomatiques très timides de la Russie qui, par ailleurs, était en train de normaliser ses relations avec le gouvernement d'Angora.

Le Comité militaire révolutionnaire d'Arménie arriva à Erevan le 4 décembre, suivi deux jours après par les premiers détachements de l'Armée rouge. Le Revkom, dominé par de jeunes bolcheviques vindicatifs, repoussa immédiatement le

Par le Traité de Moscou (mars 1921), qui établissait des relations d'amitié entre la Russie soviétique et le gouvernement d'Angora, la Turquie abandonna ses revendications sur Batoum et les autres districts en échange de l'abandon par les Russes des tentatives d'obtenir pour l'Arménie soviétique le district Surmalu d'Erevan. Dans ce secteur, la nouvelle frontière turque s'étendit jusqu'à la rivière Araxe ; la plaine fertile de Igdir et le mont de l'Ararat étaient en Turquie. En plus, le traité stipulait que Sharur Nakhitchevan ne serait pas rattaché à l'Arménie soviétique mais constitué en une région autonome sous contrôle de l'Azerbaïdjan soviétique, même s'il était séparé de l'Est de la Transcaucasie par le territoire arménien.

Quels qu'aient été les scrupules de Tchicherine et de Karakhan, ils durent les surmonter à cause du soutien décisif apporté par Staline à la délégation turque.

Comme prévu dans le Traité de Moscou, des termes presque identiques furent employés dans le Traité de Kars (octobre 1921) signé entre la Turquie et les trois républiques soviétiques transcaucasiennes."

Gaïdz Franck Minassian, "Le Haut Karabagh : la guerre pour une enclave", Cahiers de l'Orient, n° 57, 2000, p. 84 :

"(...) Staline dote le Haut-Karabagh et d'autres zones sensibles d'un statut administratif soviétique dans le but de consolider l'équilibre de son système politique naissant. En créant la République Autonome d'Adjarie (Géorgie), la République Autonome du Nakhitchevan et la Région Autonome du Haut-Karabagh (Azerbaïdjan), l'URSS poursuit sa politique amicale avec le régime kémaliste. L'URSS avait déjà fait beaucoup pour les Turcs en les débarassant de la question de l'Arménie turque et en les aidant à se concentrer sur le problème grec. Avec la question du Haut-Karabagh, Moscou doit contenter les Azéris pour qu'ils ne lorgnent pas trop du côté turc. En même temps, Moustapha Kémal n'a pas à craindre un revirement soviétique avec des entités turcophones autour de lui qui encerclent de plus l'Arménie. D'où les interférences légitimes de la Turquie qui, dans les conflits des nationalités, appelle au respect des Traités en vigueur."

30/05/2015

La Russie bolchevique et la ceinture des pays musulmans indépendants (Turquie, Perse, Afghanistan)

Stéphane Yerasimos, "Les Arabes et les Turcs : Quelques repères sur un chemin tortueux", Hérodote, n° 60-61, 1er-2e trimestres 1991, p. 174-175 :

"L'expansion des Empires russe et britannique avait laissé subsister, avant la Première Guerre mondiale, une série d'Etats-tampons situés entre leurs axes de progression : l'Empire ottoman, l'Iran, l'Afghanistan. L'entente des deux grandes puissances en vue de la Première Guerre mondiale entraîna l'extension des zones d'influence sur ces pays, tandis que l'effondrement passager de la Russie en 1917 fit croire un moment à la Grande-Bretagne qu'elle pourrait placer toute cette zone sous son contrôle direct. Cette tentative fut vouée à l'échec non seulement à cause de l'impossibilité de la Grande-Bretagne à gérer tous ses acquis de la guerre, ou de la montée en puissance de l'Union soviétique, mais aussi à cause de la résistance inattendue des pays en question. Mustafa Kemal réussissait à imposer la quasi-totalité de ses revendications nationales, aussi bien territoriales qu'économiques, l'Afghanistan faisait face à une nouvelle guerre anglo-afghane et l'Iran mettait en échec le traité de quasi-protectorat imposé par lord Curzon, entraînant en même temps la chute de la dynastie Qadjar remplacée par un colonel des Cosaques nationaliste, Reza Chah Pahlavi.

Si la remontée en puissance de la Russie pendant la période où ces événements se déroulent (1919-1923) contribue à la résistance des pays en question (notamment l'aide militaire soviétique au mouvement kémaliste fut très importante, sinon déterminante), cette remontée empêche en même temps une rupture entre ces pays et la Grande-Bretagne, puisque la réapparition de l'antagonisme entre ces deux puissances entraîne quasi automatiquement le jeu d'équilibre des pays intermédiaires.

Sans oublier que ces derniers ont eu également pendant cette même période maille à partir avec les Russes. Ainsi, Mustafa Kemal fit une seconde entorse (après Mossoul) à ses revendications territoriales en rétrocédant Batoum, qui avait été abandonné aux Ottomans par le traité de Brest-Litovsk en mars 1918 et les Soviétiques occupèrent au printemps 1920 une partie du littoral caspien iranien.

Ces rapports complexes entraînèrent une série d'engagements. L'Union soviétique, qui reconnut la première le gouvernement d'Ankara par le traité signé à Moscou le 16 mars 1921, signa également des traités bilatéraux avec l'Iran et l'Afghanistan. Enfin, les délégués turcs et afghans, qui se trouvaient à Moscou pour discuter avec les Soviétiques, signèrent sur les instances de ces derniers un traité turco-afghan le 1er mars 1921. Ce dernier traité a aussi une autre histoire. A l'armistice de 1918, les leaders Jeunes-Turcs s'enfuirent en Allemagne et tentèrent de monter, avec des généraux extrémistes allemands et des responsables bolcheviques, une société secrète de subversion en Asie centrale et dans le monde islamique. Un des objectifs, dont la partie turque se charge plus particulièrement, est la résistance afghane contre les Britanniques. Même si Ankara désavoue ces agissements, le traité turco-afghan n'y est pas étranger et la République turque enverra des instructeurs militaires en Afghanistan.

Par ces traités, l'Union soviétique entend peut-être constituer un bloc anti-impérialiste. Il en résultera une ceinture de pays qu'on pourrait aujourd'hui appeler non alignés entre l'Empire russe reconstitué et le Moyen-Orient arabe contrôlé par la Grande-Bretagne et la France."

15/05/2015

Bülent Ecevit et l'URSS

Semih Vaner, "La Turquie entre l'Occident-Patron et le « Grand Voisin du Nord »", in Zaki Laïdi (dir.), L'URSS vue du Tiers Monde, Paris, Karthala, 1984, p. 109-110 :

"Un pas supplémentaire était franchi dans le sens du rapprochement [turco-soviétique] par B. Ecevit, le leader du Parti républicain du peuple. Lors de sa visite à Moscou en juin 1978, il laissa entendre, que la Turquie se proposait de réduire sa coopération avec les Etats-Unis et sa participation à l'OTAN et que cette mesure était dictée par « la conscience que la menace qui pèse sur sa sécurité ne vient pas de l'URSS ni des autres pays socialistes ». Le chemin parcouru en vingt ans était de taille même si le document signé par le Premier ministre turc à l'issue de sa visite en Union soviétique restait en deçà de l'accord politique de 1971 entre Moscou et Bonn. La politique soviétique d'Ankara s'inscrivait dans le nouveau « concept national de sécurité » (ulusal güvenlik kavramı) du gouvernement Ecevit, concept pourtant insuffisamment défini et malaisé à appliquer, en raison de la conjoncture politique et économique interne et de la brièveté des passages au gouvernement du Parti républicain du peuple."

Stéphane Yerasimos et Turgut Artunkal, "La Turquie : permanences géopolitiques et stratégies nouvelles vers le Proche et le Moyen-Orient", Hérodote, n° 29-30, 2e-3e trimestres 1983, p. 257-259 :

"Il est vrai que l'objet d'équilibre instable que la Turquie a constitué depuis un siècle et demi à profondément affecté sa propre politique extérieure et que les gouvernements successifs du pays, de l'Empire à la République, se sentant en dernière analyse à la merci des grandes puissances, n'ont trouvé de meilleure politique que d'essayer de jouer l'une contre l'autre. Dans ce sens, les ouvertures des gouvernements turcs, aussi bien de droite que de centre-gauche, vers l'Est pourraient être interprétées comme un simple chantage politique n'ayant d'autre objectif que de susciter l'inquiétude américaine, afin que celle-ci entraîne une levée de l'embargo et une reprise de l'aide. Cette hypothèse correspond sans doute à une partie de la vérité, mais d'autres facteurs sont aussi à rechercher. L'autonomisation relative de la Turquie, tout en rendant possible l'avènement de gouvernements de centre-gauche dans les années soixante-dix créa aussi à l'intérieur un sentiment diffus mais vaste d'opposition à la dépendance par rapport à l'Occident. Nourrie par le conflit gréco-turc et l'embargo américain, interprété comme un « lachâge » par le monde occidental d'un pays musulman au profit d'un pays chrétien (la Grèce), et attisée par les reflets de la résurgence islamique au Moyen-Orient, cette opposition aboutit à une réaction de fierté mêlée d'inquiétude, face au monde occidental et réclame à son tour une ouverture vers d'autres horizons ; l'URSS, les pays balkaniques socialistes et les pays dits « radicaux » du Moyen-Orient, les pays dits « modérés » étant restés plutôt réticents aux appels turcs.

Après une série de tâtonnements ces tentatives se précisent en 1978 sous le gouvernement de centre-gauche de Bülent Ecevit et se cristallisent autour du concept de « sécurité nationale ». Les promoteurs de ce concept constatent que « les risques inhérents à une adhésion sans nuances de la totalité du système de défense turc à l'ensemble de l'appareil de défense occidental n'ont jamais été sérieusement examiné. » Ils se rendent alors compte que « la politique étrangère turque était jusqu'à présent basée sur des présupposés statiques dans un monde en mouvement ».

Quels seraient alors les changements intervenus sur la scène internationales ? Premièrement : « L'Europe occidentale considère l'équilibre politique de l'Europe en fonction de l'actuel statu quo entre le bloc occidental et celui des pays de l'Est. L'Union soviétique et ses partenaires partagent ce point de vue. Par conséquent, la possibilité d'une agression en Europe perd beaucoup de sa crédibilité et au fur et à mesure que la menace de guerre en Europe s'éloigne, les partenaires européens de l'OTAN, aussi bien que les Etats-Unis, sont en train d'adopter des politiques plus flexibles face au bloc soviétique... » Deuxièmement : « La parité ou la quasi-parité nucléaire atteinte aux Etats-Unis et en Union soviétique impose des limitations à leur action partout dans le monde... Un tel type de relations donne la possibilité aux petits pays de disposer d'une flexibilité plus grande dans leurs politiques étrangères. »

Par conséquent, si la Turquie doit contribuer au maintien du statu quo en Europe en évitant l'adoption de mesures draconiennes en politique étrangère, comme par exemple un retrait de l'OTAN, elle peut par contre « promouvoir des activités de coopération internationale visant à réduire les tensions politiques ».

C'est donc en application de ces principes que le gouvernement turc diversifiera sa politique étrangère et signera des accords de coopération aussi bien avec l'Union soviétique que la Libye. Or, si à travers le « Concept de sécurité nationale », la politique extérieure turque venait de découvrir la détente qu'à la fin des années soixante-dix c'était parce que le processus de cette détente à travers les avatars de la crise chypriote et les vicissitudes de l'instabilité intérieure venait seulement de toucher la Turquie, à un moment où les nuages d'une nouvelle crise internationale s'amoncellaient à l'horizon. (...)

Les premiers développements du nouveau rôle assigné à la Turquie se manifestèrent dès le début de l'année 1979 tandis que les principes qui les sous-tendent apparaîtront simultanément dans diverses revues de politique internationale en automne de cette même année. Là les auteurs abordent le « concept de sécurité nationale » et semblent le prendre très au sérieux. « Dans le passé, les menaces turques en ce qui concerne l'adoption d'une politique économique et étrangère plus neutre étaient largement regardées comme de pressions à peine voilées en vue d'une meilleure intégration dans l'alliance occidentale. Or on possède aujourd'hui des signes clairs d'une nouvelle et ferme résolution d'Ankara visant à promouvoir des objectifs nationaux même aux dépens de ses engagements concernant la sécurité occidentale. »

L'« accord turco-soviétique de coopération amicale sur les principes de bon voisinage » est considéré dans cette optique comme un signe extrêmement inquiétant comme le démontrerait, si besoin était, l'allocution du Premier ministre turc, Ecevit, à cette occasion : « Je suis absolument convaincu qu'avec la consolidation d'une telle atmosphère, les alliances et les différences des systèmes perdront leurs caractéristiques de confrontation et qu'il y aura moyen dans le futur de renforcer la balance sur laquelle s'appuient aujourd'hui la paix et la détente. »

De même « l'aspect le plus spectaculaire (et du point de vue de l'OTAN et des Etats-Unis le plus menaçant) du nouveau concept de défense, réside dans la détermination turque à améliorer ses relations avec les forces armées soviétiques. Cette politique poussée à sa conclusion logique peut un jour renverser la traditionnelle et bien enracinée suspicion turque au sujet des intentions soviétiques, enlevant ainsi la raison principale de la participation de la Turquie à l'alliance atlantique. » "

10/05/2015

Le général Kenan Evren et la Chine populaire

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Deng Xiaoping et Kenan Evren (1982).

 

"Turquie", Le Monde, 14 décembre 1982 :

"Le général Evren a quitté Ankara dimanche 12 décembre pour une tournée de deux semaines en Extrême-Orient. Il doit se rendre dans quatre pays (Chine, Indonésie, Corée du sud et Bangladesh) avec lesquels il entend "développer les relations économiques". Au cours d'une escale au Pakistan, sur le chemin du retour, le général Evren aura l'occasion de s'entretenir avec le général Zia Ul Haq."

Le général Kenan Evren et l'URSS

Claire Tréan, "La politique d'Ankara à l'égard de l'Europe et des Etats-Unis est encore indécise", Le Monde, 7 avril 1982 :

"Du côté turc enfin, le Conseil national de sécurité, ou du moins la tendance du général Evren, a tenté jusqu'à présent (malgré qu'elle en ait) de sauver le dialogue avec l'Europe pour éviter un tête-à-tête avec Washington. Les Turcs nourrissent traditionnellement une certaine méfiance à l'égard des Etats-Unis. Ils n'ont pas oublié que les Américains les avaient "lâchés" lors de l'opération de Chypre et avaient décrété un embargo sur les livraisons n'armes, qui ne fut levé qu'en 1979.

Ankara se réfugie derrière l'OTAN et a refusé jusqu'à présent toute coopération militaire bilatérale avec les Etats-Unis qui outrepasserait ses engagements à l'égard de l'alliance. On a noté à cet égard que la visite de M. Weinberger à Ankara, à la fin de l'année dernière, n'a pas été suivie comme prévu de celle de M. Haig, différée en raison des événements de Pologne mais dont il n'est plus question aujourd'hui. A jouer par trop la carte américaine, la Turquie compromettrait ses relations avec l'U.R.S.S. et avec ses voisins arabes, elle ne souhaite pas d'autre part devenir, en dehors de l'OTAN, partie prenante d'un éventuel conflit qui pourrait surgir à ses portes.

Ce pays a adhéré à l'OTAN à la fois par nécessité et par conviction. La partie cachée de ses relations avec l'U.R.S.S., c'est un antisoviétisme nourri par le souvenir des invasions et par le souvenir plus récent des tentatives de déstabilisation imputées à Moscou. On sait que diverses organisations terroristes ont reçu avant le coup d'Etat des subsides de l'U.R.S.S. et de la R.D.A. Une grande partie des armes saisies depuis le 12 septembre 1980 provenaient des pays de l'Est. On sait aussi que deux radios continuent toujours d'émettre en Turquie, l'une à partir de Berlin-Est et l'autre, en kurde, depuis l'Union soviétique.

Mais, comme tous les pays frontaliers des pays de l'Est, elle a, et c'est la partie visible de ces relations, une politique sinon teintée de neutralisme, du moins de bon voisinage avec l'U.R.S.S. Les relations commerciales avec ce pays se développent depuis quinze ans sur la base notamment d'une politique de troc qui ne coûte pas cher en devises. La Bulgarie est, d'une part, un gros fournisseur d'électricité. Le général Evren, qui se déplace peu, vient d'y effectuer une visite officielle, et se trouve actuellement en Roumanie. Même si l'un des objectifs de cette politique balkanique est sans doute d'irriter la Grèce, un autre est d'illustrer la politique de détente qu'on entend mener avec l'Est.

L'U.R.S.S., de son côté, avait été, jusqu'à une période récente, très discrète à l'égard du régime du général Evren, toute autre attitude risquant de pousser un peu plus la Turquie dans les bras des Etats-Unis. Or les premières critiques concernant les violations des droits de l'homme sont apparues récemment dans la presse soviétique. Comme si on considérait à Moscou qu'un pas avait été franchi dans le rapprochement turco-américain."

Artun Unsal, "Turquie : L'Union soviétique livrera du gaz naturel à Ankara à partir de 1987", Le Monde, 28 décembre 1984 :

"Ankara. - La visite que le chef du gouvernement soviétique, M. Tikhonov a effectuée du 25 au 27 décembre à Ankara (le Monde du 26 décembre) a mis un terme au refroidissement que connaissaient les relations entre les deux pays depuis 1980. Ces relations avaient souffert du regain de la tension Est-Ouest à partir de l'entrée des troupes soviétiques en Afghanistan. Les dirigeants d'Ankara estimaient en outre que l'Union soviétique avait joué un rôle dans la recrudescence du terrorisme et des menées séparatistes en Turquie avant l'intervention militaire du 12 septembre 1980.

Les deux pays ont signé le 26 décembre deux importants accords économiques ainsi qu'un protocole d'échanges culturels. L'accord commercial couvre la période 1986-1990. Il prévoit notamment l'approvisionnement de la Turquie en gaz naturel soviétique à partir de 1987, les livraisons devant être payées en nature, ce qui ouvre le marché soviétique aux produits turcs. L'accord de coopération économique conclu pour dix ans et renouvelable devrait donner un second souffle à la coopération entre les deux pays qui avaient déjà produit dans les années 60 des résultats importants, Moscou ayant contribué financièrement et techniquement à la construction de complexes sidérurgiques, de raffineries, d'usines d'aluminium et de centrales thermiques.

M. Tikhonov, a été reçu par le président de la République, M. Evren, auquel il a transmis une invitation à Moscou du chef de l'Etat soviétique, M. Tchernenko. Il a déclaré qu'"en dépit de la différence de leurs systèmes économiques et sociaux" les deux pays ont "des intérêts communs durables" que les "changements conjucturels ne sauraient influencer".

Durant les entretiens officiels, le dirigeant soviétique aurait délibérément omis de faire la moindre allusion au contentieux turco-grec en mer Egée, témoignant ainsi du désir de Moscou d'avoir des "relations équilibrées" avec ces deux pays. Sur Chypre, les Soviétiques auraient indiqué qu'ils soutiennent les efforts du secrétaire général des Nations unies en vue de relancer les négociations intercommunautaires. On remarque du côté turc que Moscou ne se fait plus le champion de la réunion d'une conférence internationale à propos de Chypre.

L'Union soviétique a, d'autre part, fait savoir qu'elle reste hostile à tous les actes de terrorisme international, comme ceux "qui ont pour but d'attenter à l'intégrité territoriale de la Turquie". La formulation est habile mais quelque peu décevante pour Ankara. Les Turcs auraient sûrement souhaité que Moscou condamne plus nettement, entre autres, le terrorisme arménien ainsi que les déclarations de certains dirigeants politiques et religieux de l'Arménie soviétique.

Dans les milieux américains à Ankara, on indique que les Etats-Unis ne peuvent que se féliciter de l'amélioration des rapports turco-soviétiques. On espère cependant qu'Ankara saura éviter une trop grande dépendance à l'égard de Moscou dans le domaine énergétique : une façon de désapprouver prudemment l'achat de gaz naturel soviétique par la Turquie. Il s'agit d'un avertissement par ailleurs peu efficace : en Europe, l'Allemagne fédérale, la France et l'Italie ont déjà devancé la Turquie dans la conclusion de contrats de même nature avec Moscou."

Le général Kenan Evren et les démocraties populaires d'Europe de l'Est

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Kenan Evren et Nicolae Ceaușescu.

 

Emel Akçali, Chypre : un enjeu géopolitique actuel, Paris, L'Harmattan, 2009, p. 177 :

"Mais le coup d'Etat militaire en Turquie, de 1980, a provoqué de nouveau l'isolement de ce pays sur la scène politique internationale. Le chef de la dictature militaire, Kenan Evren, qui est devenu le président de Turquie, n'a pu se rendre que dans quelques pays, comme le Pakistan, l'Arabie saoudite, les émirats de la péninsule arabique, la Bulgarie de Jivkov ou la Roumanie de Ceauşeuscu."

Artun Unsal, "Le général Evren est le premier chef d'Etat turc à se rendre en visite officielle en Bulgarie", Le Monde, 25 février 1982 :

"Ankara. - Après avoir fait son premier voyage officiel à l'étranger en novembre dernier au Pakistan, le chef de l'Etat turc, le général Evren, accompagné du ministre des affaires étrangères, M. Turkmen, devait quitter la capitale ce mercredi 24 février pour Sofia où il sera l'hôte de M. Todor Jivkov jusqu'à samedi.

C'est la première fois qu'un chef de l'état turc se rend en Bulgarie. A la veille de son départ, le général Evren a mis l'accent sur l'importance prioritaire accordée par la Turquie au développement des relations de bon voisinage, à la stabilité et à la paix dans les Balkans. Il doit se rendre dans les prochains mois en Roumanie et en Yougoslavie.

Une "déclaration d'amitié et de coopération" avait été signée entre la Bulgarie et la Turquie en 1975. Le volume global des échanges commerciaux entre les deux pays s'est élevé à quelque, 147 millions de dollars lors du dernier exercice, tandis que dix visites au niveau ministériel ont eu lieu de part et d'autre en 1981. Les observateurs à Ankara font surtout remarquer que, comme Moscou, Sofia s'est jusqu'à maintenant gardé d'adopter une attitude ouvertement hostile au pouvoir militaire à Ankara. Cela contraste avec l'attitude de plusieurs pays de l'Europe occidentale.

De leur côté, les dirigeants d'Ankara, bien qu'ils condamnent officiellement l'intervention soviétique en Afghanistan ainsi que les récents développements en Pologne, se sont abstenus de critiquer systématiquement le bloc communiste.

A propos de la question de Chypre, la Bulgarie, qui estime que l'île doit rester un Etat unitaire et non fédéral, est favorable à la réunion d'une conférence internationale, alors que la Turquie prône la poursuite des négociations intercommunautaires, entre représentants des Chypriotes grecs et turcs.

Les deux pays divergent également sur le problème des armes nucléaires dans les Balkans. La proposition de leur suppression, lancée par la Roumanie dans les années 50, a été reprise par M. Jivkov en 1981 et a recueilli l'adhésion du premier ministre grec, M. Papandréou. Ankara estime pour sa part que toute réduction des armes nucléaires dans la région ne peut intervenir que dans le cadre d'un processus global concernant tous les pays européens."

25/04/2015

Enver Paşa et le Congrès de Bakou (1920)

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Zinoviev et Radek au Congrès de Bakou.

 

"Il y a soixante-dix ans : Le congrès des peuples de l'Orient à Bakou", Le Monde, 2 septembre 1990 :

"Lorsque, dans la nuit du 30 au 31 août 1920, le train blindé transportant les dirigeants de l'Internationale communiste entre en gare de Bakou en provenance de Moscou, la capitale de l'Azerbaïdjan est plongée dans un de ces étés moites dont elle a le secret. Malgré une production en chute libre, une forte odeur de pétrole imprègne toujours la métropole économique du Caucase que l'armée rouge a conquise à la fin avril. Cette ville industrielle et cosmopolite de plus de 300 000 habitants, célèbre pour la combativité de ses ouvriers et la rapidité de ses fortunes, a décidément grandi trop vite.

Grigori Zinoviev, le président du Comité exécutif du Komintern, Karl Radek et Bela Kun, l'ancien responsable de la République hongroise des conseils, sont symboliquement accompagnés de délégués de partis révolutionnaires de pays colonisateurs (France, Grande-Bretagne et Hollande). J. Reed, le révolutionnaire américain auteur des Dix Jours qui ébranlèrent le monde, est également du voyage.

Fourbus après un périple de cinq jours à travers un pays exsangue qui sort difficilement de la guerre civile, ils doivent pourtant rejoindre immédiatement le théâtre des Maïlov, une bâtisse modern-style située dans le centre-ville. Une foule impatiente et bruyante emplit la salle, d'un "pittoresque extrême ; tous les costumes de l'Orient dessinent, un tableau d'une étonnante et riche couleur", note le militant anarcho-syndicaliste français A. Rosmer. A 1 h 25 du matin, la séance solennelle est enfin ouverte. Après avoir été salués par Nariman Narimanov, président du Revkom, le gouvernement soviétique d'Azerbaïdjan, les membres du Comité exécutif du Komintern, cet "état-major de la Révolution mondiale", se succèdent à la tribune dans un indescriptible désordre qu'accentuent encore les difficultés d'une traduction souvent improvisée et approximative.

G. Zinoviev ouvre le feu : "Nous ne voulons pas ressembler à la IIe Internationale [...] Dans le monde, il n'y a pas seulement des hommes de race blanche, ces Européens dont elle se préoccupait exclusivement [...]". Le ton est lancé ; la III Internationale prend à témoin un tiers-monde que K. Radek appelle à se battre dans les "villages et les villes d'Asie" aux côtés du "prolétariat insurgé". Mais les 3 Arabes, les 14 "Hindous" et les 8 Chinois présents dans la salle sont noyés dans une masse de délégués, 1 891 parmi lesquels 55 femmes et 1 273 communistes (selon les chiffres officiels du congrès), venus dans leur majorité du Caucase, d'Asie centrale et de Russie.

"Peuples asservis de Perse, d'Arménie et de Turquie"

La décision de convoquer le congrès à la mi-août a été prise par Lénine fin juin. Elle est bientôt reportée au 1er septembre pour des raisons pratiques tandis que l'appel initial aux "peuples asservis de Perse, d'Arménie et de Turquie" est finalement étendu aux "peuples asservis d'Orient". Le recrutement va, dès lors, s'opérer selon des critères mal définis : pour la direction de l'Internationale, confrontée à l'urgence d'une organisation mal maîtrisée, il s'agira bientôt de remplir les vides afin de ne pas perdre la face. Faut-il alors s'étonner de la présence, parmi les délégués, de personnes qui avaient décidé de "mettre à profit le voyage à Bakou pour conclure diverses transactions commerciales", selon l'aveu d'un membre du comité central du PC russe, E. Stasova ? "La majorité des délégués semblent illettrés. Comparer leurs armes, vendre les produits qu'ils ont apportés de chez eux les intéresse infiniment plus que les débats du congrès", constate un rapport de l'Intelligence service. Dans cette vaste kermesse, l'atmosphère ne peut être que consensuelle : les votes se déroulent à main levée dans une aimable pagaille. Mais qu'un délégué ose contester une décision du Bureau, le président de séance a vite fait de remettre le perturbateur à sa place.

Le président : [...] "Je mets aux voix la liste tout entière."

Une voix : "La Perse est lésée !"

Le président : "Je vous prie de cesser sur-le-champ tout ce tapage inadmissible, au moment où le congrès procède à l'élection de son premier soviet. Parmi deux mille individus, il s'en trouvera toujours quelques-uns pour crier : "C'est injuste !" L'élection est régulière. Vive le conseil de propagande et d'action de l'Orient ! (Applaudissements, l'orchestre joue l'Internationale)".

Si l'on s'en tient aux apparences, le congrès semble illustrer par sa composition et sa problématique les débats qui ont agité quelques semaines auparavant le IIe congrès du Komintern : l'Orient fait désormais partie intégrante de l'univers d'une révolution que la vieille Europe paraît vouloir bouder durablement. La Russie soviétique reste isolée dans un monde hostile. Lénine doit infléchir une ligne qui avait fait de la victoire de la révolution dans les pays industrialisés l'alpha et l'omega de sa pensée et de son action politiques : il ne s'agit plus de s'attirer momentanément les bonnes grâces des peuples musulmans de l'ex-empire afin de les neutraliser, voire d'en faire des alliés dans un pays déchiré par la guerre civile. Les bolcheviks tentent désormais de s'adapter au monde tel qu'il est, en particulier sur leurs frontières orientales. Ils soutiennent activement le mouvement anti-britannique en Iran (en particulier dans la province de Gilan où s'est créée une "République soviétique") observent avec intérêt la montée de Mustapha Kemal en Turquie. Mais le précurseur du communisme indien, M. N. Roy, qui avait défendu avec fougue l'idée d'un Occident étroitement dépendant de la capacité de l'Asie à réaliser sa propre révolution, contre l'opposition résolue du révolutionnaire persan Sultanzadeh, a préféré ignorer ce qu'il nomme dans ses Mémoires le "Zinoviev circus".

Le président de l'Internationale communiste semble le maître incontesté d'un cérémonial qu'il dirige avec toute l'autorité de celui qui s'exprime au nom de Lénine et du prolétariat mondial.

Dès le premier jour, son rapport fleuve s'adresse à une assemblée disparate sensible au verbe d'un tribun qui se sait en terre d'Orient. Radical : "Nous pouvons dire que la Chine, l'Inde, la Turquie, la Perse et l'Arménie peuvent et doivent aussi engager la lutte en vue de l'établissement d'un régime soviétique." Le dirigeant bolchevik tend une main fraternelle aux "mouvements nationaux", alors qu'on note la présence d'Enver Pacha, le jeune leader turc : "Nous soutenons avec patience les groupes qui ne sont pas encore avec nous et qui sont même, dans certains cas, contre nous." Tandis que le militant athée déclare respecter "l'esprit religieux des masses", en particulier musulmanes. Vers 23 heures, alors que de nombreux participants donnent des signes de fatigue, la voix de l'orateur enfle. La salle enfumée sort de sa torpeur.

"L'Internationale s'adresse aux peuples de l'Orient"

Bientôt, ces délégués sans représentativité, dont la présence est trop souvent due au hasard, tendent une oreille attentive aux mots que martèle Zinoviev : "Camarades ! Frères ! Le jour est venu où vous pouvez commencer l'organisation de la guerre populaire sainte et juste contre les pilleurs et les oppresseurs. L'Internationale communiste s'adresse aujourd'hui aux peuples de l'Orient et leur crie : Frères ! Nous vous appelons à la guerre sainte, à la guerre sainte tout d'abord contre l'impérialisme anglais !"

La salle est debout, saisie d'un enthousiasme indescriptible. Les uns applaudissent, les autres brandissent leurs armes. On crie "Djihad", "Vive la résurrection de l'Orient" ou "Vive la IIIe Internationale"."

"L'appel d'Enver Pacha", La Sentinelle (Quotidien socialiste suisse), 14 octobre 1920 :

"Le journal « La Lutte », édité à Tiflis, publie dans son numéro du 12 septembre 1920 le communiqué officiel suivant de la mission des Soviets à Tiflis :

Bakou, 8 septembre. Au congrès des peuples de l'Orient, il a été donné lecture de l'appel suivant d'Enver Pacha :

« Camarades ! En mon nom et au nom de mes camarades, j'exprime ma gratitude à la Troisième Internationale et à son bureau qui nous ont donné la possibilité, à nous qui luttons contre l'impérialisme et le capitalisme mondial, de nous réunir aujourd'hui à Bakou.

Nous sommes heureux de constater qu'à l'encontre de l'impérialisme et du capitalisme aux quels il ne suffit pas de nous piller et de nous laisser complètement nus, mais qui s'efforcent encore de boire notre sang et de nous exterminer, et qu'à l'encontre des politiciens européens pleins de mensonges, nous nous trouvons ici côte à côte avec notre alliée fidèle et véridique la Troisième Internationale.

Quand la Turquie entra en guerre, le monde entier était divisé en deux camps. Dans l'un se groupèrent la vieille Russie, tsariste et impérialiste, et ses alliés ; dans l 'autre l'Allemagne, aussi impérialiste et capitaliste, et ses alliés. En luttant contre la Russie tsariste, l'Angleterre et les autres qui s'efforçaient de nous étouffer et de nous détruire entièrement, nous combattions du côté d'un de ces groupements, celui de l'Allemagne qui, au moins, consentait à nous laisser la vie.

Les impérialistes allemands se sont servis de nous pour leurs buts de brigandage. Mais notre désir n'était que de conserver notre indépendance.

Le sentiment qui, de la vie tranquille de Berlin, nous avait menés dans les déserts brûlants de la Tripolitaine, et sous les pauvres tentes de Bédouins, pour y passer avec eux la période la plus douloureuse de notre vie, ce sentiment-là n'était pas celui de l'impérialisme. Mais nous nous efforcions de conserver la Tripolitaine aux Tripolitains, et nous nous réjouissons maintenant de les voir, après neuf années de lutte, chasser les impérialistes italiens de leur patrie.

Et à l'égard de l'Azerbéidjian nous n'avions pas d'autres intentions, car nous pensons que l'Azerbéidjan appartient aux Azerbéidjanais.

Pendant la guerre mondiale j'occupais le poste le plus important. Je vous assure cependant regretter que nous ayons été obligés de faire la guerre du côté de l'impérialisme allemand. Je hais et je maudis les militaristes allemands tout autant que l'impérialisme et les impérialistes de l'Angleterre.

D'après moi, tous ceux qui désirent la richesse pour ceux qui ne travaillent pas sont dignes d'être anéantis. C'est mon point de vue concernant l'impérialisme.

Je vous assure que si la Russie actuelle avait existé alors, et avait mené la guerre dans les mêmes buts qu'aujourd'hui, nous nous serions mis avec toute notre énergie de son côté, comme nous le faisons actuellement. Pour vous démontrer plus clairement la justesse de ma pensée, je vous dirai que quand nous nous sommes décidés à agir conjointement avec la Russie des Soviets, l'armée de Youdénitch campait près de Pétrograde, Koltchiak tenait entre ses mains l'Oural, Dénikine s'approchait de Moscou par le sud. L'Entente qui mettait en mouvement toutes ses forces et croyait la partie définitivement gagnée, montrait alors ses dents de bête fauve et se frottait les mains avec satisfaction. Telle était la situation quand nous avons voulu devenir les amis de la Russie. Et si les tempêtes de la mer Noire ne m'avaient pas repoussé en arrière, en brisant les mâts de mon navire ; si les grilles des prisons de Kovno et de Riga, et la chute des aéroplanes sur lesquels je m'élançais ne m 'avaient pas occasionné de grands retards, je serais venu en Russie alors que sa situation était la plus difficile et j'aurais été dispensé de vous raconter ces choses superflues pour donner des explications à quelques camarades.

Vous savez que dans le premier corps-à-corps de cette guerre mondiale nous avons été vaincus. Mais au point de vue de la guerre des opprimés, je ne me reconnais pas comme vaincu, parce que la Turquie, en fermant les Détroits, est devenue un des facteurs qui ont amené l'écroulement de l'insatiable Russie tsariste et l'arrivée à sa place de l'Alliée naturelle de tous les opprimés : la Russie des Soviets. Ainsi la Turquie contribua à ce qu'une nouvelle voie s'ouvrit pour le salut du monde. Au point de vue des opprimés, je considère cela comme une victoire.

L'armée qui mène actuellement une lutte héroïque contre l'impérialisme et qui puise ses forces dans la classe des paysans, n'a pas été vaincue ainsi que je viens de le dire.

Elle n'a abaissé ses armes que momentanément. Et aujourd'hui, après une lutte de 15 ans contre le même ennemi, elle continue la deuxième année de combat, et cela au milieu des plus grandes privations. Mais cette nouvelle lutte ne peut être comparée avec l'ancienne. En voyant que le monde oriental, allié à la Troisième Internationale, c'est-à-dire les opprimés de l'univers entier, soutient ses justes revendications, cette armée est animée de la plus grande espérance en la victoire.

La phase la plus tendue de la guerre mondiale, guerre qui avait commencé depuis la lutte au Transvaal, correspondait aux années 1914-1917, mais cette phase n'est pas encore finie. Actuellement la guerre est entrée dans sa période décisive et elle finira inévitablement par notre victoire, par la victoire des opprimés : l'impérialisme et le capitalisme non seulement déposeront leurs armes, mais ils seront complètement anéantis.

Le congrès actuel donne de nouvelles forces à l'armée rouge qui verse son sang pour la défense des opprimés, et aussi aux combattants turcs. Et ce congrès contribuera puissamment à ce que la lutte finisse par notre victoire, celle du droit.

Ce n'est pas seulement le désir de trouver un appui dans la lutte qui nous a guidés vers la Troisième Internationale, c'est en même temps la parenté des principes. Nous avons toujours puisé notre force révolutionnaire dans le peuple, chez les opprimés, c'est-à-dire chez les paysans. Si nos ouvriers industriels avaient été plus forts, je les aurais mentionnés en premier lieu : ils étaient avec nous, ils travaillaient corps et âme avec nous. Et c'est encore ainsi aujourd'hui. Nous nous appuyons toujours sur le peuple opprimé. Nous sentons les douleurs du peuple, nous vivons avec lui et c'est avec lui que nous mourrons.

Tenant compte du désir du peuple, nous sommes partisans qu'on lui donne le droit de disposer de lui-même. Nous nous considérons comme liés pour la vie par des liens étroits à ceux qui veulent vivre avec nous ; et à ceux qui ne veulent pas vivre avec nous, nous désirons donner le droit d'arranger eux-mêmes leur propre sort. Tel est notre point de vue dans la question nationale.

Nous sommes contre la guerre, c'est-à-dire que nous sommes opposés à ce que des hommes s'entr'égorgent dans la lutte pour le pouvoir. Nous marchons d'accord avec la Troisième Internationale pour 'obtenir la paix éternelle ; c'est dans ce but que, malgré tous les obstacles, nous menons une lutte sanglante et que mous la continuerons.

Nous voulons le bonheur pour les travailleurs, c'est-à-dire que nous sommes opposés à ce que les spéculateurs étrangers ou indigènes jouissent des fruits du labeur d'autrui. Envers eux, on ne doit user d'aucun ménagement. Nous voulons que notre pays jouisse des fruits du travail commun grâce au développement de l'agriculture sur une grande échelle et de l'industrie. Telle est notre pensée sur la question économique.


Nous sommes persuadés que seul un peuple conscient pourra obtenir le bonheur et la liberté. Nous voulons que la science solide, unie au travail et garantissant une vraie liberté, éclaire notre pays, et sur ce point, nous ne connaissons pas de différence entre les hommes et les femmes. Telle est notre pensée sur la politique sociale.

Je vous déclare que les organisations révolutionnaires du Maroc, de l'Algérie, de la Tunisie, de la Tripolitaine, de l'Arabie et de l'Hindoustan, qui m'ont envoyé ici comme leur représentant, sont complètement d'accord avec vous sur ces points. Elles sont absolument convaincue qu'en appliquant tous les moyens révolutionnaires, elles réussiront à arracher les dents aux bêtes fauves et à les affaiblir entièrement.

Les mains qu'anime ce but se tendent les unes vers les autres. Je serre la main de tous ceux qui vont travailler avec nous jusqu'à la fin de cette lutte, qui durera longtemps, mais qui ne finira qu'avec notre victoire. Je vous souhaite beaucoup de succès ! Vive l'union des opprimés ! A bas les oppresseurs qui tremblent devant cette union ! » "

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