Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

03/07/2017

Karl Radek et la Turquie

Karl Radek, "La Question d'Orient", Bulletin Communiste, n° 21, 29 juillet 1920, p. 15-16 :

"Dans son livre sur les conséquences économiques de la paix de Versailles Keynes écrit qu'au cours de la conférence de la Paix il avait l'impression que toutes tes décisions de Wilson, de Clemenceau, de Lloyd George n'étaient que des fantômes, des figures de rêve ; que tous ces maîtres du destin de l'humanité n'étaient que des pantins dont l'histoire maniait les ficelles. Les Alliés vont bientôt avoir l'occasion de se convaincre par l'expérience turque combien l'histoire se moque d'eux et les ballotte à sa guise.

Les Alliés ont condamné à mort la Russie des Soviets, et la Russie des Soviets vit, elle se libère, elle brise ses chaînes dans la lutte pour son existence, et elle détruit les fondements de la réaction occidentale.

Les Alliés n'ont pas condamné à mort l'impérialisme allemand, qui est déjà vaincu devant l'histoire, mais ils ont condamné le peuple allemand aux travaux forcés. Des cruautés de la guerre civile, un nouveau peuple allemand est né un prolétariat allemand devenu force révolutionnaire, comme un Samson à qui jamais nulle Dalila ne coupera la chevelure, comme un Samson qui lorsqu'il se lèvera ébranlera les piliers sur lesquels repose entièrement la paix victorieuse des Alliés.

Les Alliés ont condamné à mort, non pas le vieux nationalisme turc, mais le peuple turc lui-même. Ils voulaient en faire un peuple sans pays. Mais ce peuple, composé de paysans que n'a pas touchés la culture moderne, s'est soulevé et a pris les armes. (...)

Si, il y a un an, l'Entente avait épargné les impérialistes allemands, si elle avait donné à la bourgeoisie allemande la possibilité de reconstruire sa domination social-économique, elle aurait pu l'employer aujourd'hui contre la révolution prolétarienne de Russie. Mais, par avidité et avec la conviction qu'en faisant peser toutes les charges de la guerre sur le peuple allemand, elle éviterait la révolution chez elle, elle a si bien travaillé qu'après un an elle a fait plus pour la révolution allemande que n'aurait pu faire la plus puissante propagande communiste. Aujourd'hui, les Alliés peuvent tenter d'amnistier les Ludendorff et C°, et de les lancer contre la Russie communiste. Le seul effet qu'ils en pourraient obtenir, serait de hâter la victoire du prolétariat allemand. En démembrant la Turquie, en déchirant le corps vivant de ce pays, ils jettent les Jeunes Turcs dans les bras des Soviets. Ils créent une situation telle que les Turcs, qui voyaient toujours dans le Russe un ennemi héréditaire, se tournent aujourd'hui vers Moscou comme vers le seul point d'où puisse leur venir le salut.

Les Soviets veulent la paix par tous les moyens ; pour eux ne peut exister aucun désir de conquête, mais ils sont prêts à soutenir les peuples exploités qui se soulèvent. Cette Russie communiste, toute saignante des ruines de la guerre qui lui est imposée, a devant elle une formidable tâche de construction intérieure pour laquelle il lui faut une force créatrice extraordinaire. En signant avec elle une paix honorable, les Alliés donneraient la possibilité de vivre et de travailler au plus révolutionnaire des gouvernements, à un gouvernement qui peut être considéré comme l'avant-garde du prolétariat international. Et ils lui permettraient de concentrer ses forces pour la résolution des problèmes sociaux intérieurs. (...)

Prête à la paix, prête à des concessions, prête à vivre en paisible voisinage même avec les pays capitalistes aussi longtemps que la classe ouvrière d'Occident subit le poids du système capitaliste, la Russie des Soviets n'est pas un aigle à qui les vautours de l'impérialisme puissent impunément s'attaquer. C'est une force, une grande force, une force croissante. Elle obligera ses ennemis à compter avec elle et à la laisser vivre en paix."

24/03/2017

Le rôle révolutionnaire d'Alexandre Parvus et Tekin Alp

Parvus_Tekin Alp.jpg

Alexandre Parvus et Tekin Alp.

 

René Pinon, "L'Offensive de l'Asie", Revue des Deux Mondes, 15 avril 1920, p. 812-813 :

"La défaite du général Denikine, la mort de l'amiral Koltchak, la reconnaissance, par la conférence des Alliés, de l'indépendance de fait de l'Azerbaïdjan, ont encouragé les nationalistes turcs dans leur résistance aux volontés des vainqueurs et dans leurs espérances pantouraniennes, en même temps que le mouvement bolchévik, dont l'évolution interne tend vers une sorte de nationalisme révolutionnaire et émancipateur. Turcs nationalistes et Russes bolchéviks espèrent d'ailleurs trouver des appuis en Europe dans les partis révolutionnaires communistes, particulièrement ceux d'Italie qui déjà prêtent leur concours aux nationalistes d'Egypte. La Suisse est un centre d'agitation panislamique : Turcs, Egyptiens, Persans s'y rencontrent ; c'est un va-et-vient continuel de délégués entre la Suisse, Constantinople, le Caucase, l'Egypte, Moscou, Berlin.

Beaucoup de fils de la vaste intrigue aboutissent entre les mains du célèbre agent international Helphand, dit Parvus, que le gouvernement helvétique a récemment invité à sortir de la confédération. Qui connaîtrait les intrigues de ce juif de Bessarabie pendant toute la guerre, posséderait la clef d'événements considérables. Agent révolutionnaire au service de l'Etat-major allemand, il est mêlé à toutes les trames qui amènent la dislocation de l'armée et de l'Empire russe par le bolchévisme. Son officine principale est à Copenhague d'où il alimente de nouvelles tendancieuses et d'informations truquées la presse germanophile du monde entier. Il touche aussi aux affaires de Turquie ; il travaille à la réunion du Caucase à l'empire ottoman ; il fait un instrument de guerre de ce pantouranisme inventé par son coreligionnaire de Salonique, Cohen dit Tekin-Alp ; il est pantouranien pour le roi de Prusse.

L'activité d'un tel personnage est caractéristique ; elle est l'un des signes qui révèlent une étroite connexion entre la politique allemande, la révolution bolchéviste, le nationalisme turc et pantouranien, la révolution universelle. Il est possible que le gouvernement du Reich allemand ne soit pas mêlé directement à cette louche politique qui tend à replonger l'Europe, et l'Asie avec elle, dans les horreurs d'une guerre qui serait à la fois nationale et sociale ; mais de nombreux Allemands sont restés en Orient, et il est certain d'ailleurs que les partis et les hommes qui ont dirigé et perdu la guerre travaillent à rallumer l'incendie en Asie, dans un sentiment de vengeance contre l'Angleterre et dans l'espoir de tirer pied ou aile, à l'avantage de l'Allemagne, de toute complication grave qui se produirait en Orient. (...)

Ainsi se dessine contre les Alliés victorieux, pour remettre en question les résultats de leur victoire, un vaste complot ; il a trois centres : Moscou, Constantinople, Berlin."

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Le parcours politique de Mustafa Suphi

empire ottoman, mustafa suphi, russie, communisme, jön türkler,panturquisme, akçura,

 

Paul Dumont, "Bolchevisme et Orient", Cahiers du monde russe et soviétique, volume 18, n° 4, octobre-décembre 1977, p. 378-380 :

"Mustafa Suphi est né en 1883 à Giresun, un petit port de la mer Noire. Fils d'un haut fonctionnaire ottoman, il eut une enfance vagabonde. A en croire un de ses premiers biographes, il accompagna son père à Jérusalem et à Damas, fit ses études secondaires à Erzurum, puis s'inscrivit à l'Ecole de droit d'Istanbul.

Au lendemain de la révolution jeune-turque, nous le retrouvons comme bien d'autres intellectuels ottomans à Paris où il suit l'enseignement de l'Ecole libre des Sciences politiques. Il semble qu'il était à cette époque très proche des milieux unionistes. Correspondant du journal gouvernemental Tanin (L'Echo), il dirigeait par ailleurs l'Association des étudiants ottomans qui était subventionnée par l'ambassade turque. (...)

En 1910, Mustafa Suphi soutint une thèse consacrée à l'organisation du crédit agricole en Turquie. Le résumé qui en fut publié dans le Bulletin du Bureau des Institutions économiques et sociales soulignait l'importance de l'agriculture pour l'économie turque et mettait l'accent sur la nécessité d'encourager l'initiative individuelle dans le secteur paysan. Imprégné de nationalisme, ce texte dénonçait par ailleurs la pénétration du capital européen dans les campagnes turques. Aux yeux de Mustafa Suphi, il était urgent de faire face à la mainmise étrangère sur l'agriculture de l'Empire ottoman. Le crédit agricole devait précisément avoir pour mission de permettre à la paysannerie de se ressaisir et de susciter la création d'exploitations compétitives.

A son retour en Turquie, vers la fin de l'année 1910, Mustafa Suphi fut chargé d'enseigner le droit, l'économie et la sociologie dans diverses écoles supérieures d'Istanbul. Parallèlement, il poursuivit sa carrière de publiciste. (...)

En octobre 1911, Mustafa Suphi avait participé au IIIe Congrès du comité Union et Progrès à Salonique. Il semble qu'il y intrigua pour obtenir le portefeuille de l'Economie. Econduit, c'est peut-être à ce moment qu'il se retourne contre ses anciens protecteurs. Les données sur les circonstances exactes de sa brouille avec les Unionistes font défaut, mais on peut supposer que des paroles très vives furent échangées, car on le verra bientôt militer à l'extérieur du mouvement.

La rupture est consommée en août 1912. A partir de cette date, en effet, Mustafa Suphi agit au sein du parti constitutionnel national (Milli meşrutiyet fırkası) créé par un ex-député, Ferit Tek, et par un éminent idéologue d'origine tatare, Yusuf Akçura. Cette organisation avait pour but principal de déborder le comité Union et Progrès sur son « aile nationaliste » en promouvant sur le terrain politique, économique et social les doctrines élaborées par les cercles panturquistes. Mustafa Suphi participait notamment à la rédaction de son organe, l'Ifham (Commentaire).

Face au comité Union et Progrès, le parti constitutionnel national ne représentait, bien entendu, qu'une force politique mineure. Mais les dirigeants unionistes ne toléraient guère la contestation. L'assassinat, le 11 juin 1913, du Premier Ministre Mahmoud Chevket pacha leur donna l'occasion d'éliminer tous les opposants au régime. Plus de deux cents personnalités furent envoyées en exil. Dans le lot, il y avait en particulier un certain nombre de militants socialistes. Mais la répression frappa également les milieux panturcs et Mustafa Suphi ne put échapper au bannissement.

A en croire un de ses compagnons d'exil, il aurait projeté, pour se venger, de créer une franc-maçonnerie islamique et nationale susceptible de faire pièce à la franc-maçonnerie « internationale » des Jeunes Turcs. C'est peut-être pour mener à bien ce projet qu'il s'évada, vers le début de l'année 1914, de Sinop, le petit port de la mer Noire où il était en résidence surveillée.

Il s'était réfugié en Russie. Mal lui en prit. Lorsque la Première Guerre mondiale éclata, les autorités tsaristes le dirigèrent, en même temps qu'un certain nombre d'autres civils de citoyenneté ottomane, vers le camp de Kaluga, puis, lorsque les Allemands avancèrent à travers la Pologne et qu'il fallut se replier, vers celui d'Ural'sk.

Comment l'intellectuel « bourgeois » de 1914 se retrouva-t-il, quatre ans plus tard, à la tête des organisations communistes turques de Russie ? Dans un rapport présenté au Ier Congrès du parti communiste turc (Bakou, septembre 1920), Mustafa Suphi laissera entendre qu'il fut sensible à l'argumentation des propagandistes bolcheviks dès 1915 et qu'il ne tarda pas à participer lui-même à la diffusion des idées révolutionnaires. Cette conversion soudaine apparaît évidemment surprenante. On peut supposer que Mustafa Suphi fut surtout attiré par les slogans anti-impérialistes des Bolcheviks. (...)

Si l'on en croit le récit de Mustafa Suphi, ses années d'internement furent pour l'essentiel consacrées à la traduction des brochures bolcheviques. Parallèlement, il semble qu'il ait mené une active campagne de propagande contre les dirigeants d'Union et Progrès, accusés d'avoir conduit à la tuerie les paysans et les ouvriers turcs. Ces activités, menées à ciel ouvert à partir de Février 1917, lui permirent de se forger progressivement une réputation d'authentique révolutionnaire. Les événements d'Octobre ne tarderont pas à montrer qu'il avait misé sur la bonne carte. Libéré par les Bolcheviks au moment des pourparlers de Brest-Litovsk, en même temps qu'un certain nombre d'autres prisonniers ottomans, c'est sous l'étiquette du militant convaincu qu'il viendra à Moscou, vers le début du mois de mars 1918, proposer ses services au Commissariat central musulman."

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

10/11/2015

L'alliance serrée entre le mouvement de libération nationale turc et la Russie bolchevique

turquie,empire ottoman,jön türkler,kémalisme,atatürk,frounze,russie

 

Maxime Rodinson, Marxisme et monde musulman, Paris, Le Seuil, 1972 :

"La Turquie n'a pas cessé depuis 1908 de vivre dans une atmosphère révolutionnaire. La révolution jeune-turque, le régime à la fois tyrannique, superficiellement et fiévreusement novateur qui en est issu, la guerre de 1914 aux côtés des Empires centraux, l'héroïsme dépensé pour une cause douteuse, la lutte à la fois contre la révolte sourde des allogènes réclamant leur liberté et contre les impérialismes occidentaux qui se partageaient jusqu'au cœur du pays proprement turc, la défaite et l'occupation étrangère, la lutte contre le collaborationnisme des vieux cadres ottomans et l'épopée des paysans anatoliens au combat contre les étrangers que soutenaient tous les Alliés victorieux, mouvement dont Mustafa Kemâl sut prendre la tête, tout cela constituait une atmosphère singulièrement stimulante. Une jeune bourgeoisie, ardemment nationaliste et novatrice, luttait pour son indépendance, pour sa fierté nationale et brisait les vieux cadres de l'Empire ottoman mal rafistolés par les francs-maçons jeunes-turcs. Sous la conduite du jeune Kemâl, elle portait atteinte hardiment aux traditions les plus sacrées. Et au-delà des frontières turques, comme fond de tableau, la nouvelle Europe en gestation douloureuse dominée par l'appel de Moscou et par la lutte contre la vague du bolchevisme qui menaçait le monde entier et semblait pouvoir tout emporter.

Le prolétariat turc était dans l'enfance et la lutte de classes éclipsée, et de loin, par la lutte nationale. La bourgeoisie révolutionnaire turque en avait trop peur pour le laisser s'engager sur la voie que montraient les discours ardents émanant de Moscou ou de Bakou. Elle se sentait assez forte pour mener néanmoins sans faiblir sa lutte contre les impérialismes occidentaux. Elle pouvait même se payer le luxe d'une alliance serrée avec la Russie soviétique." (p. 400)

"A un banquet à Ankara où Frounze appelait la Turquie opprimée à se joindre à la lutte contre les oppresseurs, il [Kemal] répondait sauvagement : « Il n'y a ni oppresseurs, ni opprimés ; il n'y a que ceux qui se laissent opprimer. Les Turcs ne sont pas de ceux-ci. Les Turcs peuvent s'occuper de leurs propres affaires, que les autres en fassent autant. » Mais il était intéressé par la Russie soviétique au plus haut point. C'était une force. Le petit P.C. turc fut toléré un moment, étroitement surveillé bien entendu. La politique de la IIIe Internationale avait changé, d'ailleurs. Fin 1921, le mot d'ordre général devenait la tactique du front unique. L'Internationale prenait conscience du fait que la révolution mondiale n'était décidément pas pour demain. En ce qui concernait spécialement la Turquie, c'était le seul pays au monde qui, pour ses buts propres, luttait contre les mêmes pays que la Russie soviétique, le seul allié possible dans un univers hostile et menaçant. Comme devait le dire Radek un peu plus tard, le pays des Soviets avait intérêt (au moment où l'entente organisait son blocus) à voir les Détroits échapper à l'Angleterre et laisser libre passage au pétrole qui en venait et au blé qui y entrait. « N'oubliez pas, disait-il aux communistes turcs, qu'historiquement le moment n'est pas venu d'engager la bataille décisive ; vous avez encore loin à aller. » Les Turcs comprenaient tout cela et s'engagèrent à observer strictement le « pacte national », l'appui au gouvernement nationaliste ; la lutte contre l'impérialisme occidental, principal ennemi, primait sur la lutte contre la bourgeoisie turque." (p. 403)

Enregistrer

30/05/2015

La Russie bolchevique et la ceinture des pays musulmans indépendants (Turquie, Perse, Afghanistan)

Stéphane Yerasimos, "Les Arabes et les Turcs : Quelques repères sur un chemin tortueux", Hérodote, n° 60-61, 1er-2e trimestres 1991, p. 174-175 :

"L'expansion des Empires russe et britannique avait laissé subsister, avant la Première Guerre mondiale, une série d'Etats-tampons situés entre leurs axes de progression : l'Empire ottoman, l'Iran, l'Afghanistan. L'entente des deux grandes puissances en vue de la Première Guerre mondiale entraîna l'extension des zones d'influence sur ces pays, tandis que l'effondrement passager de la Russie en 1917 fit croire un moment à la Grande-Bretagne qu'elle pourrait placer toute cette zone sous son contrôle direct. Cette tentative fut vouée à l'échec non seulement à cause de l'impossibilité de la Grande-Bretagne à gérer tous ses acquis de la guerre, ou de la montée en puissance de l'Union soviétique, mais aussi à cause de la résistance inattendue des pays en question. Mustafa Kemal réussissait à imposer la quasi-totalité de ses revendications nationales, aussi bien territoriales qu'économiques, l'Afghanistan faisait face à une nouvelle guerre anglo-afghane et l'Iran mettait en échec le traité de quasi-protectorat imposé par lord Curzon, entraînant en même temps la chute de la dynastie Qadjar remplacée par un colonel des Cosaques nationaliste, Reza Chah Pahlavi.

Si la remontée en puissance de la Russie pendant la période où ces événements se déroulent (1919-1923) contribue à la résistance des pays en question (notamment l'aide militaire soviétique au mouvement kémaliste fut très importante, sinon déterminante), cette remontée empêche en même temps une rupture entre ces pays et la Grande-Bretagne, puisque la réapparition de l'antagonisme entre ces deux puissances entraîne quasi automatiquement le jeu d'équilibre des pays intermédiaires.

Sans oublier que ces derniers ont eu également pendant cette même période maille à partir avec les Russes. Ainsi, Mustafa Kemal fit une seconde entorse (après Mossoul) à ses revendications territoriales en rétrocédant Batoum, qui avait été abandonné aux Ottomans par le traité de Brest-Litovsk en mars 1918 et les Soviétiques occupèrent au printemps 1920 une partie du littoral caspien iranien.

Ces rapports complexes entraînèrent une série d'engagements. L'Union soviétique, qui reconnut la première le gouvernement d'Ankara par le traité signé à Moscou le 16 mars 1921, signa également des traités bilatéraux avec l'Iran et l'Afghanistan. Enfin, les délégués turcs et afghans, qui se trouvaient à Moscou pour discuter avec les Soviétiques, signèrent sur les instances de ces derniers un traité turco-afghan le 1er mars 1921. Ce dernier traité a aussi une autre histoire. A l'armistice de 1918, les leaders Jeunes-Turcs s'enfuirent en Allemagne et tentèrent de monter, avec des généraux extrémistes allemands et des responsables bolcheviques, une société secrète de subversion en Asie centrale et dans le monde islamique. Un des objectifs, dont la partie turque se charge plus particulièrement, est la résistance afghane contre les Britanniques. Même si Ankara désavoue ces agissements, le traité turco-afghan n'y est pas étranger et la République turque enverra des instructeurs militaires en Afghanistan.

Par ces traités, l'Union soviétique entend peut-être constituer un bloc anti-impérialiste. Il en résultera une ceinture de pays qu'on pourrait aujourd'hui appeler non alignés entre l'Empire russe reconstitué et le Moyen-Orient arabe contrôlé par la Grande-Bretagne et la France."

25/04/2015

Enver Paşa et le Congrès de Bakou (1920)

communisme,jön türkler,enver paşa,türk kurtuluş savaşı,azerbaïdjan,asie centrale,empire ottoman, arméniens

Zinoviev et Radek au Congrès de Bakou.

 

"Il y a soixante-dix ans : Le congrès des peuples de l'Orient à Bakou", Le Monde, 2 septembre 1990 :

"Lorsque, dans la nuit du 30 au 31 août 1920, le train blindé transportant les dirigeants de l'Internationale communiste entre en gare de Bakou en provenance de Moscou, la capitale de l'Azerbaïdjan est plongée dans un de ces étés moites dont elle a le secret. Malgré une production en chute libre, une forte odeur de pétrole imprègne toujours la métropole économique du Caucase que l'armée rouge a conquise à la fin avril. Cette ville industrielle et cosmopolite de plus de 300 000 habitants, célèbre pour la combativité de ses ouvriers et la rapidité de ses fortunes, a décidément grandi trop vite.

Grigori Zinoviev, le président du Comité exécutif du Komintern, Karl Radek et Bela Kun, l'ancien responsable de la République hongroise des conseils, sont symboliquement accompagnés de délégués de partis révolutionnaires de pays colonisateurs (France, Grande-Bretagne et Hollande). J. Reed, le révolutionnaire américain auteur des Dix Jours qui ébranlèrent le monde, est également du voyage.

Fourbus après un périple de cinq jours à travers un pays exsangue qui sort difficilement de la guerre civile, ils doivent pourtant rejoindre immédiatement le théâtre des Maïlov, une bâtisse modern-style située dans le centre-ville. Une foule impatiente et bruyante emplit la salle, d'un "pittoresque extrême ; tous les costumes de l'Orient dessinent, un tableau d'une étonnante et riche couleur", note le militant anarcho-syndicaliste français A. Rosmer. A 1 h 25 du matin, la séance solennelle est enfin ouverte. Après avoir été salués par Nariman Narimanov, président du Revkom, le gouvernement soviétique d'Azerbaïdjan, les membres du Comité exécutif du Komintern, cet "état-major de la Révolution mondiale", se succèdent à la tribune dans un indescriptible désordre qu'accentuent encore les difficultés d'une traduction souvent improvisée et approximative.

G. Zinoviev ouvre le feu : "Nous ne voulons pas ressembler à la IIe Internationale [...] Dans le monde, il n'y a pas seulement des hommes de race blanche, ces Européens dont elle se préoccupait exclusivement [...]". Le ton est lancé ; la III Internationale prend à témoin un tiers-monde que K. Radek appelle à se battre dans les "villages et les villes d'Asie" aux côtés du "prolétariat insurgé". Mais les 3 Arabes, les 14 "Hindous" et les 8 Chinois présents dans la salle sont noyés dans une masse de délégués, 1 891 parmi lesquels 55 femmes et 1 273 communistes (selon les chiffres officiels du congrès), venus dans leur majorité du Caucase, d'Asie centrale et de Russie.

"Peuples asservis de Perse, d'Arménie et de Turquie"

La décision de convoquer le congrès à la mi-août a été prise par Lénine fin juin. Elle est bientôt reportée au 1er septembre pour des raisons pratiques tandis que l'appel initial aux "peuples asservis de Perse, d'Arménie et de Turquie" est finalement étendu aux "peuples asservis d'Orient". Le recrutement va, dès lors, s'opérer selon des critères mal définis : pour la direction de l'Internationale, confrontée à l'urgence d'une organisation mal maîtrisée, il s'agira bientôt de remplir les vides afin de ne pas perdre la face. Faut-il alors s'étonner de la présence, parmi les délégués, de personnes qui avaient décidé de "mettre à profit le voyage à Bakou pour conclure diverses transactions commerciales", selon l'aveu d'un membre du comité central du PC russe, E. Stasova ? "La majorité des délégués semblent illettrés. Comparer leurs armes, vendre les produits qu'ils ont apportés de chez eux les intéresse infiniment plus que les débats du congrès", constate un rapport de l'Intelligence service. Dans cette vaste kermesse, l'atmosphère ne peut être que consensuelle : les votes se déroulent à main levée dans une aimable pagaille. Mais qu'un délégué ose contester une décision du Bureau, le président de séance a vite fait de remettre le perturbateur à sa place.

Le président : [...] "Je mets aux voix la liste tout entière."

Une voix : "La Perse est lésée !"

Le président : "Je vous prie de cesser sur-le-champ tout ce tapage inadmissible, au moment où le congrès procède à l'élection de son premier soviet. Parmi deux mille individus, il s'en trouvera toujours quelques-uns pour crier : "C'est injuste !" L'élection est régulière. Vive le conseil de propagande et d'action de l'Orient ! (Applaudissements, l'orchestre joue l'Internationale)".

Si l'on s'en tient aux apparences, le congrès semble illustrer par sa composition et sa problématique les débats qui ont agité quelques semaines auparavant le IIe congrès du Komintern : l'Orient fait désormais partie intégrante de l'univers d'une révolution que la vieille Europe paraît vouloir bouder durablement. La Russie soviétique reste isolée dans un monde hostile. Lénine doit infléchir une ligne qui avait fait de la victoire de la révolution dans les pays industrialisés l'alpha et l'omega de sa pensée et de son action politiques : il ne s'agit plus de s'attirer momentanément les bonnes grâces des peuples musulmans de l'ex-empire afin de les neutraliser, voire d'en faire des alliés dans un pays déchiré par la guerre civile. Les bolcheviks tentent désormais de s'adapter au monde tel qu'il est, en particulier sur leurs frontières orientales. Ils soutiennent activement le mouvement anti-britannique en Iran (en particulier dans la province de Gilan où s'est créée une "République soviétique") observent avec intérêt la montée de Mustapha Kemal en Turquie. Mais le précurseur du communisme indien, M. N. Roy, qui avait défendu avec fougue l'idée d'un Occident étroitement dépendant de la capacité de l'Asie à réaliser sa propre révolution, contre l'opposition résolue du révolutionnaire persan Sultanzadeh, a préféré ignorer ce qu'il nomme dans ses Mémoires le "Zinoviev circus".

Le président de l'Internationale communiste semble le maître incontesté d'un cérémonial qu'il dirige avec toute l'autorité de celui qui s'exprime au nom de Lénine et du prolétariat mondial.

Dès le premier jour, son rapport fleuve s'adresse à une assemblée disparate sensible au verbe d'un tribun qui se sait en terre d'Orient. Radical : "Nous pouvons dire que la Chine, l'Inde, la Turquie, la Perse et l'Arménie peuvent et doivent aussi engager la lutte en vue de l'établissement d'un régime soviétique." Le dirigeant bolchevik tend une main fraternelle aux "mouvements nationaux", alors qu'on note la présence d'Enver Pacha, le jeune leader turc : "Nous soutenons avec patience les groupes qui ne sont pas encore avec nous et qui sont même, dans certains cas, contre nous." Tandis que le militant athée déclare respecter "l'esprit religieux des masses", en particulier musulmanes. Vers 23 heures, alors que de nombreux participants donnent des signes de fatigue, la voix de l'orateur enfle. La salle enfumée sort de sa torpeur.

"L'Internationale s'adresse aux peuples de l'Orient"

Bientôt, ces délégués sans représentativité, dont la présence est trop souvent due au hasard, tendent une oreille attentive aux mots que martèle Zinoviev : "Camarades ! Frères ! Le jour est venu où vous pouvez commencer l'organisation de la guerre populaire sainte et juste contre les pilleurs et les oppresseurs. L'Internationale communiste s'adresse aujourd'hui aux peuples de l'Orient et leur crie : Frères ! Nous vous appelons à la guerre sainte, à la guerre sainte tout d'abord contre l'impérialisme anglais !"

La salle est debout, saisie d'un enthousiasme indescriptible. Les uns applaudissent, les autres brandissent leurs armes. On crie "Djihad", "Vive la résurrection de l'Orient" ou "Vive la IIIe Internationale"."

"L'appel d'Enver Pacha", La Sentinelle (Quotidien socialiste suisse), 14 octobre 1920 :

"Le journal « La Lutte », édité à Tiflis, publie dans son numéro du 12 septembre 1920 le communiqué officiel suivant de la mission des Soviets à Tiflis :

Bakou, 8 septembre. Au congrès des peuples de l'Orient, il a été donné lecture de l'appel suivant d'Enver Pacha :

« Camarades ! En mon nom et au nom de mes camarades, j'exprime ma gratitude à la Troisième Internationale et à son bureau qui nous ont donné la possibilité, à nous qui luttons contre l'impérialisme et le capitalisme mondial, de nous réunir aujourd'hui à Bakou.

Nous sommes heureux de constater qu'à l'encontre de l'impérialisme et du capitalisme aux quels il ne suffit pas de nous piller et de nous laisser complètement nus, mais qui s'efforcent encore de boire notre sang et de nous exterminer, et qu'à l'encontre des politiciens européens pleins de mensonges, nous nous trouvons ici côte à côte avec notre alliée fidèle et véridique la Troisième Internationale.

Quand la Turquie entra en guerre, le monde entier était divisé en deux camps. Dans l'un se groupèrent la vieille Russie, tsariste et impérialiste, et ses alliés ; dans l 'autre l'Allemagne, aussi impérialiste et capitaliste, et ses alliés. En luttant contre la Russie tsariste, l'Angleterre et les autres qui s'efforçaient de nous étouffer et de nous détruire entièrement, nous combattions du côté d'un de ces groupements, celui de l'Allemagne qui, au moins, consentait à nous laisser la vie.

Les impérialistes allemands se sont servis de nous pour leurs buts de brigandage. Mais notre désir n'était que de conserver notre indépendance.

Le sentiment qui, de la vie tranquille de Berlin, nous avait menés dans les déserts brûlants de la Tripolitaine, et sous les pauvres tentes de Bédouins, pour y passer avec eux la période la plus douloureuse de notre vie, ce sentiment-là n'était pas celui de l'impérialisme. Mais nous nous efforcions de conserver la Tripolitaine aux Tripolitains, et nous nous réjouissons maintenant de les voir, après neuf années de lutte, chasser les impérialistes italiens de leur patrie.

Et à l'égard de l'Azerbéidjian nous n'avions pas d'autres intentions, car nous pensons que l'Azerbéidjan appartient aux Azerbéidjanais.

Pendant la guerre mondiale j'occupais le poste le plus important. Je vous assure cependant regretter que nous ayons été obligés de faire la guerre du côté de l'impérialisme allemand. Je hais et je maudis les militaristes allemands tout autant que l'impérialisme et les impérialistes de l'Angleterre.

D'après moi, tous ceux qui désirent la richesse pour ceux qui ne travaillent pas sont dignes d'être anéantis. C'est mon point de vue concernant l'impérialisme.

Je vous assure que si la Russie actuelle avait existé alors, et avait mené la guerre dans les mêmes buts qu'aujourd'hui, nous nous serions mis avec toute notre énergie de son côté, comme nous le faisons actuellement. Pour vous démontrer plus clairement la justesse de ma pensée, je vous dirai que quand nous nous sommes décidés à agir conjointement avec la Russie des Soviets, l'armée de Youdénitch campait près de Pétrograde, Koltchiak tenait entre ses mains l'Oural, Dénikine s'approchait de Moscou par le sud. L'Entente qui mettait en mouvement toutes ses forces et croyait la partie définitivement gagnée, montrait alors ses dents de bête fauve et se frottait les mains avec satisfaction. Telle était la situation quand nous avons voulu devenir les amis de la Russie. Et si les tempêtes de la mer Noire ne m'avaient pas repoussé en arrière, en brisant les mâts de mon navire ; si les grilles des prisons de Kovno et de Riga, et la chute des aéroplanes sur lesquels je m'élançais ne m 'avaient pas occasionné de grands retards, je serais venu en Russie alors que sa situation était la plus difficile et j'aurais été dispensé de vous raconter ces choses superflues pour donner des explications à quelques camarades.

Vous savez que dans le premier corps-à-corps de cette guerre mondiale nous avons été vaincus. Mais au point de vue de la guerre des opprimés, je ne me reconnais pas comme vaincu, parce que la Turquie, en fermant les Détroits, est devenue un des facteurs qui ont amené l'écroulement de l'insatiable Russie tsariste et l'arrivée à sa place de l'Alliée naturelle de tous les opprimés : la Russie des Soviets. Ainsi la Turquie contribua à ce qu'une nouvelle voie s'ouvrit pour le salut du monde. Au point de vue des opprimés, je considère cela comme une victoire.

L'armée qui mène actuellement une lutte héroïque contre l'impérialisme et qui puise ses forces dans la classe des paysans, n'a pas été vaincue ainsi que je viens de le dire.

Elle n'a abaissé ses armes que momentanément. Et aujourd'hui, après une lutte de 15 ans contre le même ennemi, elle continue la deuxième année de combat, et cela au milieu des plus grandes privations. Mais cette nouvelle lutte ne peut être comparée avec l'ancienne. En voyant que le monde oriental, allié à la Troisième Internationale, c'est-à-dire les opprimés de l'univers entier, soutient ses justes revendications, cette armée est animée de la plus grande espérance en la victoire.

La phase la plus tendue de la guerre mondiale, guerre qui avait commencé depuis la lutte au Transvaal, correspondait aux années 1914-1917, mais cette phase n'est pas encore finie. Actuellement la guerre est entrée dans sa période décisive et elle finira inévitablement par notre victoire, par la victoire des opprimés : l'impérialisme et le capitalisme non seulement déposeront leurs armes, mais ils seront complètement anéantis.

Le congrès actuel donne de nouvelles forces à l'armée rouge qui verse son sang pour la défense des opprimés, et aussi aux combattants turcs. Et ce congrès contribuera puissamment à ce que la lutte finisse par notre victoire, celle du droit.

Ce n'est pas seulement le désir de trouver un appui dans la lutte qui nous a guidés vers la Troisième Internationale, c'est en même temps la parenté des principes. Nous avons toujours puisé notre force révolutionnaire dans le peuple, chez les opprimés, c'est-à-dire chez les paysans. Si nos ouvriers industriels avaient été plus forts, je les aurais mentionnés en premier lieu : ils étaient avec nous, ils travaillaient corps et âme avec nous. Et c'est encore ainsi aujourd'hui. Nous nous appuyons toujours sur le peuple opprimé. Nous sentons les douleurs du peuple, nous vivons avec lui et c'est avec lui que nous mourrons.

Tenant compte du désir du peuple, nous sommes partisans qu'on lui donne le droit de disposer de lui-même. Nous nous considérons comme liés pour la vie par des liens étroits à ceux qui veulent vivre avec nous ; et à ceux qui ne veulent pas vivre avec nous, nous désirons donner le droit d'arranger eux-mêmes leur propre sort. Tel est notre point de vue dans la question nationale.

Nous sommes contre la guerre, c'est-à-dire que nous sommes opposés à ce que des hommes s'entr'égorgent dans la lutte pour le pouvoir. Nous marchons d'accord avec la Troisième Internationale pour 'obtenir la paix éternelle ; c'est dans ce but que, malgré tous les obstacles, nous menons une lutte sanglante et que mous la continuerons.

Nous voulons le bonheur pour les travailleurs, c'est-à-dire que nous sommes opposés à ce que les spéculateurs étrangers ou indigènes jouissent des fruits du labeur d'autrui. Envers eux, on ne doit user d'aucun ménagement. Nous voulons que notre pays jouisse des fruits du travail commun grâce au développement de l'agriculture sur une grande échelle et de l'industrie. Telle est notre pensée sur la question économique.


Nous sommes persuadés que seul un peuple conscient pourra obtenir le bonheur et la liberté. Nous voulons que la science solide, unie au travail et garantissant une vraie liberté, éclaire notre pays, et sur ce point, nous ne connaissons pas de différence entre les hommes et les femmes. Telle est notre pensée sur la politique sociale.

Je vous déclare que les organisations révolutionnaires du Maroc, de l'Algérie, de la Tunisie, de la Tripolitaine, de l'Arabie et de l'Hindoustan, qui m'ont envoyé ici comme leur représentant, sont complètement d'accord avec vous sur ces points. Elles sont absolument convaincue qu'en appliquant tous les moyens révolutionnaires, elles réussiront à arracher les dents aux bêtes fauves et à les affaiblir entièrement.

Les mains qu'anime ce but se tendent les unes vers les autres. Je serre la main de tous ceux qui vont travailler avec nous jusqu'à la fin de cette lutte, qui durera longtemps, mais qui ne finira qu'avec notre victoire. Je vous souhaite beaucoup de succès ! Vive l'union des opprimés ! A bas les oppresseurs qui tremblent devant cette union ! » "

Enregistrer

22/03/2014

Enver Paşa et le bolchevisme

jön türkler, Enver Paşa, Turquie, communisme, panturquisme, Asie centrale,

 

Semih Vaner, "La Turquie entre l'Occident-Patron et le « Grand Voisin du Nord »", in Zaki Laïdi (dir.), L'URSS vue du Tiers Monde, Paris, Karthala, 1984, p. 100-101 :

"Comme le relève l'historien P. Dumont, dans la plupart des organisations « communistes » turques, du début des années 1920, il y avait une évidente propension au panasiatisme voire au panturquisme. L'itinéraire le plus singulier de ces panturquistes et pantouraniens fut sant doute celui d'Enver, ministre de la Guerre en 1914 et principal responsable de l'entrée en guerre de l'Empire ottoman aux côtés de l'Allemagne. Exilé en Union soviétique, Enver chercha d'abord avec ses partisans unionistes, « moyennant quelques réserves et certaines approximations idéologiques, son ralliement à la cause bolchevique » avant de tomber en août 1922, au cours d'une expédition au Turkestan, à la tête des Basmacı, contre l'armée rouge."

Enregistrer

16/03/2014

Socialisme et nationalisme en Turquie

Francois Georgeon, Des Ottomans aux Turcs. Naissance d'une nation, Istanbul, Isis, 1995, p. 9 :

"Dès avant l'entrée en guerre, du reste, les Jeunes Turcs ont proclamé l'abrogation unilatérale des capitulations.

En même temps l'anti-impérialisme devient l'un des thèmes favoris de la jeunesse et de l'intelligentsia turque. Le premier à apporter aux intellectuels turcs une théorie de l'impérialisme est Parvus. Nationalisme et socialisme coïncident étroitement à cette époque : de nombreux socialistes et communistes sont issus des rangs nationalistes, à commencer par le fondateur du parti communiste turc Mustafa Suphi qui, en 1912-1913, militait dans les rangs d'un petit parti nationaliste. Cette convergence du socialisme et du nationalisme est un autre facteur qui contribue à donner au nationalisme turc de cette époque une coloration progressiste. Pendant la guerre d'indépendance, guerre de libération nationale menée au moins autant contre les envahisseurs grecs que contre les impérialistes anglais, Mustafa Kemal qui s'appuie sur la Russie soviétique va parfois jusqu'à employer un vocabulaire nettement anti-impérialiste.

Cette coloration anti-impérialiste est fondamentale pour comprendre ce qu'est le nationalisme turc aujourd'hui."