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30/05/2015

La Russie bolchevique et la ceinture des pays musulmans indépendants (Turquie, Perse, Afghanistan)

Stéphane Yerasimos, "Les Arabes et les Turcs : Quelques repères sur un chemin tortueux", Hérodote, n° 60-61, 1er-2e trimestres 1991, p. 174-175 :

"L'expansion des Empires russe et britannique avait laissé subsister, avant la Première Guerre mondiale, une série d'Etats-tampons situés entre leurs axes de progression : l'Empire ottoman, l'Iran, l'Afghanistan. L'entente des deux grandes puissances en vue de la Première Guerre mondiale entraîna l'extension des zones d'influence sur ces pays, tandis que l'effondrement passager de la Russie en 1917 fit croire un moment à la Grande-Bretagne qu'elle pourrait placer toute cette zone sous son contrôle direct. Cette tentative fut vouée à l'échec non seulement à cause de l'impossibilité de la Grande-Bretagne à gérer tous ses acquis de la guerre, ou de la montée en puissance de l'Union soviétique, mais aussi à cause de la résistance inattendue des pays en question. Mustafa Kemal réussissait à imposer la quasi-totalité de ses revendications nationales, aussi bien territoriales qu'économiques, l'Afghanistan faisait face à une nouvelle guerre anglo-afghane et l'Iran mettait en échec le traité de quasi-protectorat imposé par lord Curzon, entraînant en même temps la chute de la dynastie Qadjar remplacée par un colonel des Cosaques nationaliste, Reza Chah Pahlavi.

Si la remontée en puissance de la Russie pendant la période où ces événements se déroulent (1919-1923) contribue à la résistance des pays en question (notamment l'aide militaire soviétique au mouvement kémaliste fut très importante, sinon déterminante), cette remontée empêche en même temps une rupture entre ces pays et la Grande-Bretagne, puisque la réapparition de l'antagonisme entre ces deux puissances entraîne quasi automatiquement le jeu d'équilibre des pays intermédiaires.

Sans oublier que ces derniers ont eu également pendant cette même période maille à partir avec les Russes. Ainsi, Mustafa Kemal fit une seconde entorse (après Mossoul) à ses revendications territoriales en rétrocédant Batoum, qui avait été abandonné aux Ottomans par le traité de Brest-Litovsk en mars 1918 et les Soviétiques occupèrent au printemps 1920 une partie du littoral caspien iranien.

Ces rapports complexes entraînèrent une série d'engagements. L'Union soviétique, qui reconnut la première le gouvernement d'Ankara par le traité signé à Moscou le 16 mars 1921, signa également des traités bilatéraux avec l'Iran et l'Afghanistan. Enfin, les délégués turcs et afghans, qui se trouvaient à Moscou pour discuter avec les Soviétiques, signèrent sur les instances de ces derniers un traité turco-afghan le 1er mars 1921. Ce dernier traité a aussi une autre histoire. A l'armistice de 1918, les leaders Jeunes-Turcs s'enfuirent en Allemagne et tentèrent de monter, avec des généraux extrémistes allemands et des responsables bolcheviques, une société secrète de subversion en Asie centrale et dans le monde islamique. Un des objectifs, dont la partie turque se charge plus particulièrement, est la résistance afghane contre les Britanniques. Même si Ankara désavoue ces agissements, le traité turco-afghan n'y est pas étranger et la République turque enverra des instructeurs militaires en Afghanistan.

Par ces traités, l'Union soviétique entend peut-être constituer un bloc anti-impérialiste. Il en résultera une ceinture de pays qu'on pourrait aujourd'hui appeler non alignés entre l'Empire russe reconstitué et le Moyen-Orient arabe contrôlé par la Grande-Bretagne et la France."

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