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29/03/2017

La confiance de Tekin Alp dans la pérennité de l'amitié turco-soviétique

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Tekin Alp, Le Kemalisme, Paris, Félix Alcan, 1937 :

"A ce propos, je ne puis pas m'empêcher de signaler la remarque de Marcel Sauvage, dans son reportage sur La Turquie dévoilée. Dans un chapitre consacré à l'esprit d'Ankara et aux six flèches du Parti du Peuple, il fait ressortir avec humour que la flèche représentant l'Etatisme est la plus longue !... et ajoute que les remarques faites à la suite de cette constatation lui auraient simplement précisé quelle influence l'esprit de Moscou avait eu sur l'esprit d'Ankara.

Certes, des liens d'amitié inébranlables, des intérêts d'une importance capitale, lient les deux métropoles de la démocratie, mais, de là à voir une certaine affinité dans l'esprit des deux révolutions, ce serait à mon avis une bien lourde erreur. (...)

S'agissant de l'intervention de l'Etat dans l'un comme dans l'autre système, il est naturel qu'à certains moments les deux alliées politiques fassent route ensemble, mais elles ne peuvent pas manquer de se séparer et de s'éloigner l'une de l'autre au carrefour de la propriété individuelle. Elles s'y sépareront avec une poignée de main chaleureuse et fraternelle, pour se rencontrer de nouveau et se donner la main, là où elles ont des intérêts communs moraux ou matériels." (p. 207-208)

"La Russie soviétique fait du nationalisme, tout en arborant le principe de l'Internationalisme.

On y met en avant le matérialisme historique de Karl Marx, mais, en réalité, c'est de la mystique russe-nationale, telle que nous la voyons dans les livres de Tolstoï, Dostoïewski, Pouchkine et Tourguenieff. S'il est vrai qu'il y a dans le bolchevisme certains éléments de l'esprit juif, on pourra y reconnaître peut-être les traces du messianisme juif. C'est peut-être ce mysticisme slave associé au messianisme juif qui fait croire au moujik et à l'ouvrier moscovite qu'il est appelé à rétablir sur la terre la paix universelle et le bonheur éternel de l'humanité en détruisant et en annihilant par la violence tout ce qui, de près ou de loin, touche à l'esprit et au régime bourgeois. C'est toujours grâce à cet esprit mystique et messianique que les communistes ont fini par déifier Lénine et substituer son icône aux icônes des saints.

Au début, le communisme a eu beau agiter le drapeau de l'Internationalisme, il a eu beau rêver d'attirer toutes les Nations du monde dans son orbite, mais la nature des choses a fini par triompher. Le communisme se nationalise et se russifie de plus en plus.

L'armée rouge créée par Trotzki dans le but de libérer le monde du joug bourgeois, a maintenant comme mission de défendre le sol russe contre les convoitises germaniques, japonaises ou autres et dans ce but, les Soviets concluent des pactes avec des puissances bourgeoises. L'antimilitarisme qui est une des principales bases du credo communiste est mis au rancart et l'armée rouge participe à la course aux armements au même degré que certaines Nations bourgeoises.

La Russie moscovite, qui répudie le principe de nationalité, ne fait pas autre chose que du nationalisme en prétendant qu'elle est appelée à régénérer le monde, et qu'elle est prédestinée à être le modèle et l'inspiratrice des autres peuples, qu'elle est l'avant-garde de l'humanité vers le paradis terrestre, qu'elle changera le cours de l'histoire millénaire et établira dans le monde entier le règne de la justice, de la fraternité et de l'égalité. Il n'est pas exclu que tôt ou tard, nous y voyions des manifestations nationalistes sous les mêmes formes qu'ailleurs. A ce propos, il est intéressant de relever que le principe des nationalités n'a pas complètement disparu en Russie soviétique. Les multiples nationalités qui peuplent cet immense territoire conservent toujours leur individualité propre, leur langue, leur littérature et tout ce qui fait partie de la culture nationale, mais la mystique nationaliste y a été supplantée pour le moment par la mystique communiste. Aussi, la constitution soviétique s'enorgueillit-elle d'inscrire dans un de ses paragraphes que : « Dans le camp du socialisme règnent la confiance mutuelle et la paix, la liberté des Nations et l'égalité, la coexistence pacifique et la collaboration fraternelle des peuples. »

Litvinov, dans un discours prononcé à la Société des Nations, tire gloire du fait que :

« L'idée d'une association entre les Nations n'a rien d'inacceptable pour l'idéologie soviétique. Nous sommes, dit-il, un peuple réunissant dans 13 Républiques, 200 populations différentes. L'Ukraine, à elle seule, comprend plusieurs vingtaines de millions d'habitants. Jamais auparavant il ne s'était trouvé un ensemble de Nations aussi nombreuses, aussi variées, se groupant dans un seul Etat. L'égalité des droits de chacune de ces nationalités est parfaitement respectée, puisqu'il n'y a pas plus de majorité nationale que de minorité nationale. N'importe quelle nationalité n'a pas de moyens moindres qu'une autre nationalité. Autrefois, toutes les nationalités, exception faite de l'élément russe qui régnait par la force, étaient sacrifiées. Les résultats de la politique soviétique en ce domaine ont été jugés aussi bien par les amis que par les ennemis de l'Union. Certes, toutes les nationalités sont unies par l'identité du régime politique et économique et ont toutes le même idéal. »

En effet, on ne peut pas nier que le feu sacré de l'idéal communiste domine et refoule tout sentiment et tout penchant qui lui est étranger et, parmi ceux-ci, la mystique nationaliste. Mais, les Soviets jouent là un jeu très dangereux ; ils nourrissent dans leur sein un ennemi mortel, ils le sentiront le jour où la force de la mystique communiste commencera à fléchir. Alors, on pourra voir le principe des nationalités, le sentiment de solidarité raciale, linguistique et culturelle reprendre ses droits et s'ériger en maître dans la vie publique.

Déjà aujourd'hui, comme le fait remarquer fort bien M. Herriot dans son remarquable livre sur l'Orient :

« La logique de la théorie se heurte parfois à la réalité mouvante de la vie. Les forces fédérales et les forces nationales entrent parfois en conflit. On se plaint de l'action russe dans certaines entreprises de Bakou. On signale en Géorgie des rixes entre divers éléments nationaux, et la prédominance excessive des Russes sur les Géorgiens dans les services de chemins de fer de Tiflis. Au Congrès de février 1934, devant les représentants du Parti bolchéviste, M. Pastechev a signalé l'action en Ukraine des divers groupements nationalistes. »

Quoi qu'il en soit, que l'esprit nationaliste russe se manifeste par le principe des nationalités ou par l'idéal communiste, il conservera toujours son origine et son essence mystique." (p. 235-238)

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05/03/2017

L'hommage d'İsmet İnönü à Staline (1953)

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İsmet İnönü écrivant sur le livre de condoléances en hommage à Staline (mars 1953).

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07/02/2017

Les rapports d'amitié entre la Turquie d'Atatürk et l'URSS (années 20 et 30)

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Le maréchal Vorochilov et Atatürk.

 

Stefan Velikov, "A l'occasion du cinquantenaire de la proclamation de la République Turque", Etudes balkaniques, volume 2, 1973, p. 14 :

"Jusqu'à la mort d'Atatürk, la politique turque enregistra pour la période 1923-1938 des succès considérables, surtout par l'établissement de rapports diplomatiques normaux avec l'Union soviétique. Il conviendrait d'affirmer que les rapports d'amitié existant entre la Turquie et l'Union soviétique constituèrent un facteur d'importance dans l'affermissement de la politique étrangère du pays. Lorsque l'Italie fasciste, soutenue par l'Angleterre, se livra à une politique hostile et provocatrice envers la Turquie, l'Union soviétique conclut le 17 décembre 1925 un Traité d'amitié et de neutralité avec la Turquie. Un traité de commerce et une convention maritime furent conclus en 1927 entre la Turquie et l'Union soviétique. Grâce au caractère amical de ces rapports, l'économie turque progressa considérablement en 1942. Le gouvernement soviétique accorda à la Turquie un crédit à longue échéance et sans intérêts de 8 millions de dollars. Le Traité d'amitié et de neutralité signé entre les deux pays en 1925 fut prolongé en 1935 d'un délai supplémentaire de 10 ans. Faisant le bilan de l'utilité et des profits pour la Turquie de l'amitié et de la coopération avec l'Union soviétique, Kemal Atatürk exprima sa profonde gratitude dans un discours prononcé en 1935 devant le VIe congrès du parti populaire, disant entre autres: “Comme toujours notre amitié avec les Soviets demeure solide et sincère. Ayant vu le jour dans les moments pénibles de notre histoire, elle demeurera toujours un souvenir inoubliable et bien cher au peuple turc.” Dans ce même discours, Kemal mit en relief l'aide précieuse accordée par l'Union soviétique à la Turquie au sujet du problème des Détroits qui devait être examiné par la Société des Nations en avril 1935. Alors que l'Angleterre, la France et l'Italie entravaient autant que possible l'examen de la proposition turque, l'Union soviétique, au contraire, appuya la demande de la Turquie. Et c'est justement à cette occasion que Kemal déclara : “Dernièrement, lorsque nous avons soulevé la question des Détroits, l'appui qui nous a été donné en faveur de notre thèse par l'Union soviétique fut de nouveau l'objet d'une démonstration de gratitude et d'amitié profonde de notre peuple envers notre voisine... L'amitié turco-soviétique a toujours contribué au bénéfice de la paix mondiale. A l'avenir, aussi, elle ne sera qu'utile et bénéfique.” "

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07/05/2016

La coopération économique entre les Etats turc et soviétique

G. Skorov, "L'aide économique et technique de l'URSS aux pays sous-développés", Tiers-Monde, tome 1, n° 4, 1960, p. 491-492 :

"L'assistance du monde socialiste aux Etats de l'Orient ne débuta pas dans les années 50, comme on le pense en Occident, mais bien antérieurement puisqu'elle prend ses racines dans les premières journées de la Révolution socialiste d'octobre 1917 qui mit fin pour toujours aux traités inégaux imposés par le gouvernement tsariste aux pays de l'Orient. La renonciation au tribut colonial et le commerce fondé sur une nouvelle base d'égalité allégèrent considérablement le fardeau économique des pays limitrophes de la Russie en apportant une aide sérieuse, bien qu'indirecte, à leurs peuples. Malgré ses immenses besoins l'Etat soviétique assura par la suite une aide économique directe aux pays sous-développés. En 1932, le gouvernement soviétique accorda à la Turquie un emprunt sans intérêts pour 20 ans de 8 millions de dollars amortissable en monnaie turque. Simultanément l'U.R.S.S. fournissait à la Turquie des projets de constructions industrielles, un équipement ultra-moderne, ainsi que des ingénieurs et des techniciens. La formation de cadres techniques turcs était organisée en U.R.S.S."

Daniel Vernet, "Ankara et Moscou comptent tripler en trois ans leurs échanges économiques", Le Monde, 26 juin 1978 :

"Moscou. - L'Union soviétique et la Turquie ont signé, le vendredi 23 juin, un "document politique sur les principes de la coopération, de bon voisinage et d'amitié", à la fin de la visite officielle de M. Bulent Ecevit à Moscou. Ce texte reprend l'essentiel du communiqué publié le 17 avril 1972, après le voyage de M. Podgorny à Ankara, mais il lui donne un caractère plus solennel ; sans toutefois être le pacte de non-agression que souhaitaient les Soviétiques, il ajoute cependant des références constantes à l'Acte final de la conférence d'Helsinki. (...)

Le premier ministre turc, qui avait été reçu jeudi par M. Brejnev, et qui a eu plusieurs heures d'entretiens avec MM. Kossyguine et Gromyko, s'est déclaré "profondément satisfait" de sa visite. Il a surtout insisté sur le développement des échanges économiques et commerciaux avec l'U.R.S.S. L'Union soviétique et la Turquie vont signer à bref délai un accord économique à long terme qui prévoira le triplement des échanges en trois ans. Les échanges soviéto-turcs ont atteint 160 millions de dollars en 1977.

A partir de 1979, l'U.R.S.S. s'est engagée à livrer 3 millions de tonnes de pétrole par an à la Turquie, ce qui représente environ un cinquième de sa consommation. La contrepartie turque sera composée de céréales, de coton, de certains minerais comme le chrome et, au cas où ces livraisons seraient insuffisantes, Ankara paierait la différence en devises convertibles. D'autre part, les Soviétiques apporteront leur aide à l'extraction du pétrole en Turquie."

François Schlosser, "L'Occident malade de la Turquie", Le Nouvel Observateur, 25 février 1980 :

"(...) le voisin soviétique n'est pas resté insensible à l'intéressante évolution des Turcs [dans les années 70]. Moscou n'a pas lésiné sur l'aide : un milliard de dollars de crédits pour construire des routes, un complexe sidérurgique, une raffinerie de pétrole (et quatre milliards en projets, notamment pour une centrale atomique). La Turquie livre ses surplus de grains à l'U.R.S.S., qui lui fournit 10 % du pétrole qu'elle consomme, et en Anatolie orientale des lignes électriques sont directement branchées sur les réseaux soviétiques."

31/08/2015

Les positions soviétiques sur le conflit chypriote

Dimitri Kitsikis, "Le conflit de Chypre", Revue française de science politique, 15e année, n° 2, 1965, p. 286-287 :

"(...) à présent, Chypre échappait à l'O.T.A.N. et passait dans le camp neutraliste. La Turquie résolut, non certes de l'y rejoindre, mais d'esquisser elle aussi un mouvement vers le Caire et Moscou, dans l'espoir de neutraliser les nouveaux appuis du président de Chypre.

Les initiatives du gouvernement turc dans ce sens ont été précédées d'un mouvement dans l'opinion turque en faveur d'un rapprochement avec les pays non alignés et d'un certain dégagement des alliances occidentales, mouvement constaté dans la deuxième quinzaine de septembre, c'est-à-dire pendant les pourparlers soviéto-chypriotes à Moscou. Dès le début d'octobre, apprenant que le président de Chypre participerait à la conférence au sommet des pays non alignés, le gouvernement turc dépêcha au Caire deux observateurs. Pourtant ce geste ne suffit pas à satisfaire les fédérations nationales des étudiants de Turquie qui publièrent un communiqué déplorant que leur pays n'ait pas participé activement à la conférence. Le gouvernement turc décida alors de prendre à son tour le chemin de Moscou. Erkin, ministre des Affaires étrangères, s'y rendit le 30 octobre. C'était la première fois, depuis octobre 1939, qu'un membre du gouvernement turc se rendait dans la capitale soviétique. Le résultat du voyage fut une amélioration des rapports turco-soviétiques sur le plan culturel et commercial. Sur le plan politique, Erkin avait bien souligné que la Turquie n'entendait pas s'écarter de ses alliés occidentaux. En ce qui concerne Chypre, l'Union soviétique, malgré son grand désir d'améliorer ses rapports avec sa voisine, amélioration qu'elle recherchait depuis des années sans succès, ne pouvait promettre grand-chose, alors qu'elle soutenait Makarios le neutraliste, d'autant plus que le gouvernement turc ne donnait pas encore des signes de désengagement.

Mais justement dans la mesure où l'Union soviétique soutient le gouvernement de Chypre et non le gouvernement grec, Moscou a pu déclarer à Erkin qu'elle n'était pas en faveur de l'Enosis, partageant ainsi le point de vue de Makarios qui n'entend pas livrer son île neutraliste à un pays de l'O.T.A.N. De plus, elle a pu déclarer au ministre turc qu'afin que l'île ne pût constituer un danger pour la sécurité de la Turquie, il faudrait qu'elle fût démilitarisée, ce que demande également Makarios. Enfin, elle a dû certainement insister sur la sauvegarde des droits légitimes de la minorité turque."

"Sans illusions", Le Monde, 21 décembre 1966 :

"Il y a deux ans, M. Ismet Inonu, alors président du conseil, envoyait à Moscou son ministre des affaires étrangères, qui s'acquitta avec succès de sa mission : à un certain "dégagement" d'Ankara à l'égard de l'allié américain le gouvernement soviétique répondait par la reconnaissance des droits nationaux de la minorité turque à Chypre. Mieux, l'U.R.S.S. comblait les vœux de M. Inonu en prônant l'indépendance de l'île, ce qui allait à rencontre des aspirations unitaires des Grecs."

François Schlosser et Kenize Mourad, "Chypre : Kissinger joue et perd", Le Nouvel Observateur, 19 août 1974 :

"Anatole Dobrynine, revenu tout bronzé de Crimée où il a passé ses vacances, n'avait pas de position soviétique très élaborée à défendre mercredi dernier, quand il a rencontré pour la première fois Gerald Ford. Les membres du Politburo, en effet, sont eux aussi en vacances. Et les réactions à Moscou sont étonnamment calmes. On a d'abord soutenu les Turcs parce qu'ils semblaient oeuvrer en faveur du gouvernement légitime de Mgr Makarios. On s'est ensuite félicité de l'aubaine que constitue le retrait de la Grèce de l'O.T.A.N. Mais sans plus."

Artun Unsal, "Turquie : L'Union soviétique livrera du gaz naturel à Ankara à partir de 1987", Le Monde, 28 décembre 1984 :

"M. Tikhonov, a été reçu par le président de la République, M. Evren, auquel il a transmis une invitation à Moscou du chef de l'Etat soviétique, M. Tchernenko. Il a déclaré qu'"en dépit de la différence de leurs systèmes économiques et sociaux" les deux pays ont "des intérêts communs durables" que les "changements conjucturels ne sauraient influencer".

Durant les entretiens officiels, le dirigeant soviétique aurait délibérément omis de faire la moindre allusion au contentieux turco-grec en mer Egée, témoignant ainsi du désir de Moscou d'avoir des "relations équilibrées" avec ces deux pays. Sur Chypre, les Soviétiques auraient indiqué qu'ils soutiennent les efforts du secrétaire général des Nations unies en vue de relancer les négociations intercommunautaires. On remarque du côté turc que Moscou ne se fait plus le champion de la réunion d'une conférence internationale à propos de Chypre."

16/07/2015

Les relations entre la Turquie et la Chine populaire dans les années 70

Artun Unsal, "Le ministre chinois des affaires étrangères effectue une visite officielle à Ankara", Le Monde, 14 mai 1978 :

"Ankara. - Après la visite de pongistes et de basketteurs chinois dès l'ouverture de l'ambassade de Pékin dans la capitale turque, en 1971, M. Huang Hua, ministre chinois des affaires étrangères, est arrivé le lundi 12 juin à Ankara pour un séjour officiel de quatre jours.

En juillet 1974, M. Gunes, ministre turc des affaires étrangères du gouvernement de coalition (parti républicain du peuple et parti du salut national) s'était rendu à Pékin pour une visite officielle, raccourcie en raison de l'intervention à Chypre. Le chef de la diplomatie chinoise répond officiellement à cette visite.

"Il n'existe aucun problème dans les relations entre les deux pays", a souligné M. Ecevit, qui souhaite renforcer la coopération économique, scientifique et culturelle avec la Chine. Mais il semble que M. Huang cherche moins à développer les échanges commerciaux (du reste fort modestes) qu'à mesurer la véritable portée du rapprochement turc avec Moscou. En effet les Chinois pensent que, en raison de sa position "géopolitique", la Turquie constitue un facteur de paix dans la région, qu'elle devrait demeurer membre de l'OTAN, pour faire obstacle, selon Pékin, à l'expansionnisme du Kremlin. Dans l'allocution qu'il a prononcée au cours du banquet offert par ses hôtes turcs, M. Huang a dénoncé sans la nommer "une superpuissance qui pratique une politique d'encerclement par les flancs" à l'encontre de l'Europe, tout en multipliant ses menées subversives au Proche-Orient, en Afrique et dans d'autres régions du monde.

Mais il semble que les Turcs, tout en écoutant poliment les Chinois, comme ils l'ont déjà fait pour les Occidentaux s'abstiendront de prendre une position hostile envers l'Union soviétique, avec qui ils partagent au nord une frontière commune de 610 kilomètres, au moment où il est question de la signature d'une déclaration politique entre Moscou et Ankara. D'ailleurs, Ankara a rappelé, à plusieurs reprises, sa fidélité à l'Alliance atlantique et estimé que sa politique de rapprochement avec les Soviétiques n'est pas incompatible dans un monde où la détente devrait tout primer.

La Turquie souhaite bénéficier des expériences chinoises dans le domaine de l'énergie (notamment les forages pétroliers), de l'agriculture et de l'industrie, ainsi que l'a souligné M. Okun, ministre turc des affaires étrangères. Elle apprécie d'autre part la position de Pékin dans la question chypriote. En effet, les Chinois sont d'avis qu'il n'y aura aucune solution viable en dehors du cadre intercommunautaire et demeurent hostiles à l'internationalisation, que souhaitent les Chypriotes grecs, soutenus à cet égard par Moscou.

Après avoir été reçu par le chef de l'Etat, M. Koruturk, M. Huang devait également rencontrer le ministre turc de la défense, ainsi que le ministre d'Etat chargé des relations économiques."

15/05/2015

Bülent Ecevit et l'URSS

Semih Vaner, "La Turquie entre l'Occident-Patron et le « Grand Voisin du Nord »", in Zaki Laïdi (dir.), L'URSS vue du Tiers Monde, Paris, Karthala, 1984, p. 109-110 :

"Un pas supplémentaire était franchi dans le sens du rapprochement [turco-soviétique] par B. Ecevit, le leader du Parti républicain du peuple. Lors de sa visite à Moscou en juin 1978, il laissa entendre, que la Turquie se proposait de réduire sa coopération avec les Etats-Unis et sa participation à l'OTAN et que cette mesure était dictée par « la conscience que la menace qui pèse sur sa sécurité ne vient pas de l'URSS ni des autres pays socialistes ». Le chemin parcouru en vingt ans était de taille même si le document signé par le Premier ministre turc à l'issue de sa visite en Union soviétique restait en deçà de l'accord politique de 1971 entre Moscou et Bonn. La politique soviétique d'Ankara s'inscrivait dans le nouveau « concept national de sécurité » (ulusal güvenlik kavramı) du gouvernement Ecevit, concept pourtant insuffisamment défini et malaisé à appliquer, en raison de la conjoncture politique et économique interne et de la brièveté des passages au gouvernement du Parti républicain du peuple."

Stéphane Yerasimos et Turgut Artunkal, "La Turquie : permanences géopolitiques et stratégies nouvelles vers le Proche et le Moyen-Orient", Hérodote, n° 29-30, 2e-3e trimestres 1983, p. 257-259 :

"Il est vrai que l'objet d'équilibre instable que la Turquie a constitué depuis un siècle et demi à profondément affecté sa propre politique extérieure et que les gouvernements successifs du pays, de l'Empire à la République, se sentant en dernière analyse à la merci des grandes puissances, n'ont trouvé de meilleure politique que d'essayer de jouer l'une contre l'autre. Dans ce sens, les ouvertures des gouvernements turcs, aussi bien de droite que de centre-gauche, vers l'Est pourraient être interprétées comme un simple chantage politique n'ayant d'autre objectif que de susciter l'inquiétude américaine, afin que celle-ci entraîne une levée de l'embargo et une reprise de l'aide. Cette hypothèse correspond sans doute à une partie de la vérité, mais d'autres facteurs sont aussi à rechercher. L'autonomisation relative de la Turquie, tout en rendant possible l'avènement de gouvernements de centre-gauche dans les années soixante-dix créa aussi à l'intérieur un sentiment diffus mais vaste d'opposition à la dépendance par rapport à l'Occident. Nourrie par le conflit gréco-turc et l'embargo américain, interprété comme un « lachâge » par le monde occidental d'un pays musulman au profit d'un pays chrétien (la Grèce), et attisée par les reflets de la résurgence islamique au Moyen-Orient, cette opposition aboutit à une réaction de fierté mêlée d'inquiétude, face au monde occidental et réclame à son tour une ouverture vers d'autres horizons ; l'URSS, les pays balkaniques socialistes et les pays dits « radicaux » du Moyen-Orient, les pays dits « modérés » étant restés plutôt réticents aux appels turcs.

Après une série de tâtonnements ces tentatives se précisent en 1978 sous le gouvernement de centre-gauche de Bülent Ecevit et se cristallisent autour du concept de « sécurité nationale ». Les promoteurs de ce concept constatent que « les risques inhérents à une adhésion sans nuances de la totalité du système de défense turc à l'ensemble de l'appareil de défense occidental n'ont jamais été sérieusement examiné. » Ils se rendent alors compte que « la politique étrangère turque était jusqu'à présent basée sur des présupposés statiques dans un monde en mouvement ».

Quels seraient alors les changements intervenus sur la scène internationales ? Premièrement : « L'Europe occidentale considère l'équilibre politique de l'Europe en fonction de l'actuel statu quo entre le bloc occidental et celui des pays de l'Est. L'Union soviétique et ses partenaires partagent ce point de vue. Par conséquent, la possibilité d'une agression en Europe perd beaucoup de sa crédibilité et au fur et à mesure que la menace de guerre en Europe s'éloigne, les partenaires européens de l'OTAN, aussi bien que les Etats-Unis, sont en train d'adopter des politiques plus flexibles face au bloc soviétique... » Deuxièmement : « La parité ou la quasi-parité nucléaire atteinte aux Etats-Unis et en Union soviétique impose des limitations à leur action partout dans le monde... Un tel type de relations donne la possibilité aux petits pays de disposer d'une flexibilité plus grande dans leurs politiques étrangères. »

Par conséquent, si la Turquie doit contribuer au maintien du statu quo en Europe en évitant l'adoption de mesures draconiennes en politique étrangère, comme par exemple un retrait de l'OTAN, elle peut par contre « promouvoir des activités de coopération internationale visant à réduire les tensions politiques ».

C'est donc en application de ces principes que le gouvernement turc diversifiera sa politique étrangère et signera des accords de coopération aussi bien avec l'Union soviétique que la Libye. Or, si à travers le « Concept de sécurité nationale », la politique extérieure turque venait de découvrir la détente qu'à la fin des années soixante-dix c'était parce que le processus de cette détente à travers les avatars de la crise chypriote et les vicissitudes de l'instabilité intérieure venait seulement de toucher la Turquie, à un moment où les nuages d'une nouvelle crise internationale s'amoncellaient à l'horizon. (...)

Les premiers développements du nouveau rôle assigné à la Turquie se manifestèrent dès le début de l'année 1979 tandis que les principes qui les sous-tendent apparaîtront simultanément dans diverses revues de politique internationale en automne de cette même année. Là les auteurs abordent le « concept de sécurité nationale » et semblent le prendre très au sérieux. « Dans le passé, les menaces turques en ce qui concerne l'adoption d'une politique économique et étrangère plus neutre étaient largement regardées comme de pressions à peine voilées en vue d'une meilleure intégration dans l'alliance occidentale. Or on possède aujourd'hui des signes clairs d'une nouvelle et ferme résolution d'Ankara visant à promouvoir des objectifs nationaux même aux dépens de ses engagements concernant la sécurité occidentale. »

L'« accord turco-soviétique de coopération amicale sur les principes de bon voisinage » est considéré dans cette optique comme un signe extrêmement inquiétant comme le démontrerait, si besoin était, l'allocution du Premier ministre turc, Ecevit, à cette occasion : « Je suis absolument convaincu qu'avec la consolidation d'une telle atmosphère, les alliances et les différences des systèmes perdront leurs caractéristiques de confrontation et qu'il y aura moyen dans le futur de renforcer la balance sur laquelle s'appuient aujourd'hui la paix et la détente. »

De même « l'aspect le plus spectaculaire (et du point de vue de l'OTAN et des Etats-Unis le plus menaçant) du nouveau concept de défense, réside dans la détermination turque à améliorer ses relations avec les forces armées soviétiques. Cette politique poussée à sa conclusion logique peut un jour renverser la traditionnelle et bien enracinée suspicion turque au sujet des intentions soviétiques, enlevant ainsi la raison principale de la participation de la Turquie à l'alliance atlantique. » "

27/11/2013

İsmet İnönü et l'URSS

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Michael J. Carley, 1939 : l'alliance de la dernière chance. Une réinterprétation des origines de la Seconde Guerre mondiale, Montréal, Presses universitaires de Montréal, 2001, p. 174-175 :

"Le 4 mai [1939], comme l’avait prévu Litvinov, les Britanniques renouvelèrent leur proposition de garanties unilatérales. Cependant, ce qui suivit n’était pas si prévisible. Potemkine se rendit à Ankara pour poursuivre des négociations en vue d’améliorer les relations avec la Turquie (une alliée importante des Soviétiques durant l’entre-deux-guerres), négociations qui avaient débuté en même temps que celles que menaient les Britanniques et les Français. Il rencontra le président turc, Ismet Inönü, qui reprocha à la France et à la Grande-Bretagne de ne pas s’opposer à l’expansion allemande vers l’est. Ismet estimait que la politique franco-britannique consistait à se tenir éloignés en espérant que l’Allemagne s’épuiserait dans un conflit à l’est, afin de devenir les arbitres de l’Europe. Malheureusement, leurs calculs s’étaient révélés faux, l’Autriche, la Tchécoslovaquie et l’Albanie ayant été englouties. Selon Ismet, les Etats encore indépendants en Europe de l’Est avaient perdu confiance dans l’aide franco-britannique et envisageaient n’importe quel compromis avec Hitler. La Grande-Bretagne et la France, s’étant finalement aperçues du danger, avaient entamé des négociations avec la Turquie et l’URSS. « Pour Ismet, l’URSS ne devait pas rejeter les offres de coopération [franco-britanniques]. » Il conseilla à Potemkine d’accepter la proposition de Bonnet ou, au pire, d’admettre le concept britannique de garanties unilatérales, puis de construire sur cette base. Selon lui, accepter cette proposition n’était pas incompatible avec « la dignité » soviétique. Une alliance anglo-franco-soviétique était cruciale. Du reste, Ismet avait confié à Weygand, qui visitait la Turquie à peu près au même moment, que la France « ne pouvait pas se défendre contre l’Allemagne sans l’aide de l’URSS »."

Emel Parlar Dal, Les relations turco-américaines (1945-1980). Genèse d'une relation spéciale entre ombres et lumières, Paris, L'Harmattan, 2011, p. 238 :

"A propos du lien entre la nouvelle orientation de la politique extérieure turque et la crise chypriote, le Premier ministre turc İsmet İnönü déclara : « le problème chypriote ne trouvera pas une solution satisfaisante pour Ankara dans le cadre étroit de l'OTAN. Le rapprochement avec l'U.R.S.S privera Monseigneur Makarios d'un puissant allié potentiel. La Turquie en revanche, gagnera aux Nations unies des soutiens non seulement parmi les Etats communistes mais aussi dans les rangs des pays non-alignés. De plus, elle obtiendra enfin une aide économique soviétique susceptible de pallier l'insuffisance des Etats-Unis. »

Dans ce climat de détente, un véritable rapprochement s'opéra entre Ankara et Moscou avec la visite officielle du ministre des Affaires étrangères turc Feridun Cemal Erkin à Moscou à l'automne 1964. A ce sujet, notons que les Soviétiques avaient invité le gouvernement turc six mois auparavant. Cependant, cette invitation fut déclinée par le Premier ministre turc İsmet İnönü. Avec l'aggravation de la crise chypriote suite à la lettre de Johnson, celui-ci décida de reconsidérer la proposition soviétique et décida enfin de l'accepter. Indéniablement, la crise chypriote joua un rôle de catalyseur dans le rapprochement turco-soviétique à partir de l'année 1964."

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